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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/315

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SPIRIDION.

compense à ta vieillesse un ami fidèle, un fils dévoué, un disciple confiant, qui entourera tes derniers jours des consolations que tu me procures aujourd’hui. — Nul ne pourra m’aimer comme je vous aime, reprenait Fulgence, car jamais je ne serai digne d’un amour semblable à celui que vous m’inspirez ; et quand même cela devrait arriver, je suis si jeune encore ! Imaginez ce que j’aurai à souffrir, privé de guide et d’appui, durant les années de ma vie où vos conseils et votre protection m’eussent été le plus nécessaires !

— Écoute, lui dit un jour l’abbé, je veux te dire une pensée qui a traversé plusieurs fois mon esprit sans s’y arrêter. Nul n’est plus ennemi que moi, tu le sais, des grossières jongleries dont les moines se servent pour terrifier leurs adeptes ; je ne suis pas davantage partisan des extases, que d’ignorans visionnaires ou de vils imposteurs ont fait servir à leur fortune ou à la satisfaction de leur misérable vanité ; mais je crois aux apparitions et aux songes qui ont jeté quelquefois une salutaire terreur ou apporté une vivifiante espérance à des esprits sincères et pieusement enthousiastes. Les miracles ne me paraissent pas inadmissibles à la raison la plus froide et la plus éclairée. Parmi les choses surnaturelles qui, loin de causer de la répugnance à mon esprit, lui sont un doux rêve et une vague croyance, j’accepterais comme possibles les communications directes de nos sens avec ce qui reste en nous et autour de nous des morts que nous avons chéris. Sans croire que les cadavres puissent briser la pierre du sépulcre et reprendre pour quelques instans les fonctions de la vie, je m’imagine quelquefois que les élémens de notre être ne se divisent pas subitement, et qu’avant leur diffusion un reflet de nous-mêmes se projette autour de nous, comme le spectre solaire frappe encore nos regards de tout son éclat, plusieurs minutes après que l’astre s’est abaissé derrière notre horizon. S’il faut t’avouer tout ce qui se passe en moi à cet égard, je te confesserai qu’il était une tradition, dans ma famille, que je n’ai jamais eu la force de rejeter comme une fable. On disait que la vie était dans le sang de mes ancêtres à un tel degré d’intensité, que leur ame éprouvait, au moment de quitter le corps, l’effort d’une crise étrange, inconnue. Ils voyaient alors leur propre image se détacher d’eux, et leur apparaître quelquefois double et triple. Ma mère assurait qu’à l’heure suprême où mon père rendit l’esprit, il prétendait voir de chaque côté de son lit un spectre tout semblable à lui, revêtu de l’habit qu’il portait les jours de fête pour aller à la synagogue dont il était rabbin. Il eût été si facile à la raison hautaine de repousser cette légende, que je ne