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Il réduit à néant l’analogie des images, qu’il avait si heureusement respectée dans ses premiers ouvrages dramatiques. Il fait dire à Ruy-Blas, lorsqu’il gourmande le conseil de Castille, que le globe impérial de Charles-Quint est un soleil. Un soleil, je le veux bien ; ce n’est pas trop de la droite profonde de Charles-Quint pour tenir un soleil. Puis tout à coup le soleil devient lune, et cette lune se laisse échancrer par l’aurore des nations jalouses de la gloire espagnole. M. Hugo sait pourtant que la lune n’est pas de la même famille que le soleil, car c’est lui qui a nommé Virgile la lune d’Homère. Aurait-il vu dans Philippe II la lune de Charles-Quint ? Mais lors même que nous accepterions cette comparaison, nous ne pourrions consentir à la métamorphose exprimée par Ruy-Blas. L’amant de Marie de Neubourg veut-il peindre la profondeur de sa passion pour la reine ? il se donne pour un ver de terre amoureux d’une étoile. Jamais Scudéry ni La Calprenède n’ont inventé une comparaison plus ambitieusement ridicule. La correction grammaticale n’est pas plus respectée que l’analogie des images. M. Hugo, agenouillé devant la toute-puissance de la rime, traite la langue en pays conquis. Il fait exécuter, je l’avoue, à l’idiome que nous parlons des manœuvres qui peuvent passer pour de véritables tours de force ; mais la langue, en sortant de ses mains, ressemble aux enfans qu’un saltimbanque impitoyable dresse à coups de bâton aux tours de souplesse. Les ligamens finissent par se prêter aux mouvemens les plus contraires ; le corps, en s’assouplissant, perd sa forme et sa beauté. La langue n’accomplit pas impunément les manœuvres que lui commande l’auteur de Ruy-Blas. Elle rivalise de souplesse avec Mazurier, mais elle a tout juste autant de grace que lui. La versification, telle que la pratique aujourd’hui M. Hugo, n’est plus un art, mais un métier. Il ne s’agit plus pour lui de dompter la langue, mais de la rouer si elle refuse de plier.

Une fois résolu à bâtonner la syntaxe, comment l’auteur de Ruy-Blas conserverait-il quelque respect pour l’idéal ? Jusqu’à présent, dans ses écarts les plus malheureux, il avait compris la nécessité d’idéaliser les sentimens et les paroles de ses personnages. En écrivant Ruy-Blas, il a traité l’idéal avec le même dédain que la langue ; car je ne puis consentir à prendre pour l’expression idéale de la passion le couplet où Ruy-Blas se donne pour un ver de terre amoureux d’une étoile. Or, dès que l’idéal disparaît, la poésie s’évanouit.

La valeur poétique et la valeur dramatique de Ruy-Blas sont donc