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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/625

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DE LA VIE DE JÉSUS.

de l’entendre conclure de tout ce qui précède, qu’après tout, son livre ne viole en rien la croyance de l’église chrétienne ; que plutôt il la confirme ; que tout ce qu’il a détruit par la critique, il va le rétablir dogmatiquement ; que la naissance du Dieu fait homme, ses miracles, sa résurrection, son ascension, ne laissent pas d’être d’éternelles et irréfutables vérités ; qu’il rentre ainsi dans l’orthodoxie par une voie qu’il appelle, il est vrai, détournée. Mais c’est une des maximes des casuistes modernes, qu’il n’est point nécessaire de savoir si l’Évangile repose sur une vérité historique. La philosophie considère le christianisme en lui-même comme une abstraction. Si elle juge ses dogmes raisonnables, elle déclare qu’il a en soi la réalité éternelle, auprès de laquelle toute autre n’est qu’une ombre ; d’où il suit qu’il ne faut plus s’inquiéter de son origine dans le temps. Dès ce moment, la foi est abritée dans la métaphysique comme dans l’arche d’alliance. Le tabernacle se referme ; toutes les objections tombent. C’est ce que l’on appelle le procédé de la théologie spéculative.

Spinosa fournit encore ici le remède après avoir fait la blessure. Ce moyen est contenu dans les paroles suivantes de l’une de ses lettres : « Pour vous ouvrir entièrement mon esprit, je vous dirai qu’il n’est point indispensable pour le salut de croire au Christ selon la chair, mais bien à ce fils éternel de Dieu, c’est-à-dire à l’éternelle sagesse qui se manifeste en toutes choses, principalement dans l’esprit de l’homme, mais plus encore qu’en tout le reste, en Jésus-Christ. » Dans cette métaphysique est caché l’abîme où se recèle la théologie allemande, toutes les fois qu’elle veut se dérober à ses propres conséquences. C’est le nuage où se retire, au milieu de la mêlée, le dieu poursuivi par Ajax.

Du mélange de la métaphysique et de la théologie s’est formée, en Allemagne, une langue savante qui n’a aucun analogue dans les peuples modernes. Pour trouver un idiome semblable, il faut remonter aux scolastiques ou aux alexandrins. La parole couvre la pensée de l’écrivain comme le bois sacré enveloppait la demeure de l’oracle. Au sein de ces magnifiques ténèbres, séparés du monde et de la nature entière, sans témoins, sans écho, l’audace des théologiens s’accroît de leur isolement. Cachés dans cette enceinte, ils s’excitent les uns les autres à des hardiesses de pensées que difficilement ils se permettraient au grand jour. Voilà un des avantages du mystère. Voyons-en les inconvéniens. J’en aperçois deux principaux. D’abord, tout est mis en question dans le sanctuaire, quand tout paraît en sûreté au dehors ; par où l’on voit que le résultat de cette