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s’était-il dit souvent en la voyant s’enfuir dès qu’il faisait mine de l’approcher ; et, pour se divertir de son trouble, il l’avait quelquefois abordée malgré elle. Margot baissait alors la tête, ne répondait que par monosyllabes et se repliait, pour ainsi dire, sur elle-même, comme une sensitive.

Les journées s’écoulaient dans une monotonie extrême ; Gaston n’allait plus à la chasse ; on jouait peu, on se promenait rarement ; tout se passait en entretiens, et deux ou trois fois par jour Mme Doradour avertissait Margot de se retirer, afin de ne pas gêner la compagnie. La pauvre enfant ne faisait que descendre de sa chambre et y remonter. S’il lui arrivait d’entrer au salon mal à propos, elle voyait les deux mères échanger des signes, et tout le monde se taisait ; lorsqu’on la rappelait, après une longue conversation secrète, elle s’asseyait sans regarder personne, et l’inquiétude qu’elle sentait ressemblait à ce qu’on éprouve en mer, lorsqu’un orage s’annonce au loin et s’avance lentement au milieu d’un ciel calme.

Elle passait un matin devant la porte de Mlle de Vercelles, lorsque celle-ci l’appela. Après quelques mots indifférens, Margot remarqua au doigt de sa bonne amie une jolie bague :

— Essayez-la, dit Mlle de Vercelles, et voyons un peu si elle vous irait.

— Oh ! mademoiselle, ma main n’est pas assez belle pour porter de pareils bijoux.

— Laissez donc, cette bague vous va à merveille. Je vous en ferai cadeau le jour de mes noces.

— Est-ce que vous allez vous marier ? demanda Margot en tremblant.

— Qui sait ? répondit en riant Mlle de Vercelles ; nous autres filles, nous sommes exposées tous les jours à ces choses-là.

Je laisse à penser dans quel trouble ces paroles jetèrent Margot ; elle se les répéta cent fois jour et nuit, mais presque machinalement et sans oser y réfléchir. Cependant, peu de temps après, comme on apportait le café après souper, Gaston lui en ayant présenté une tasse, elle le repoussa doucement en lui disant : Vous me donnerez cela le jour de vos noces. Le jeune homme sourit et parut un peu étonné, il ne répondit rien ; mais Mme Doradour fronça le sourcil et pria Margot avec humeur de se mêler de ses affaires.

Margot se le tint pour dit ; ce qu’elle désirait et craignait tant de savoir lui sembla prouvé par cette circonstance. Elle courut s’enfermer dans sa chambre ; là, elle posa son front dans ses mains et