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DES SYSTÈMES HISTORIQUES.

propre famille. Son petit-fils, l’héritier du trône, était sous la tutelle morale d’un homme qui lui apprenait que tout despotisme est un mauvais gouvernement, qu’il y a pour l’état des règles supérieures au bon plaisir du roi, et que le corps de la nation doit avoir part aux affaires publiques[1].

Fénelon (car c’est à lui qu’appartiennent ces maximes), nommé, en 1689, précepteur du duc de Bourgogne, avait accepté cette charge comme une haute mission politique. Il s’était proposé pour tâche de faire succéder à la monarchie absolue, qu’il voyait pencher vers sa ruine, un gouvernement de conseils et d’assemblées qui ne fît rien sans règle et sans contrôle, qui ne se crût pas libre de hasarder, comme lui-même le dit énergiquement, la nation sans la consulter[2]. Tel était le but des enseignemens qu’il donnait à son élève et qu’il développait dans des mémoires animés par un sentiment tendre et profond des misères publiques. Il parlait de rendre à la nation ses libertés méconnues et de se rapprocher ainsi de l’ordre, de la justice et de la véritable grandeur ; il présentait les états-généraux comme le moyen de salut, comme une institution qu’il serait capital de rétablir, et en attendant, il proposait une convocation de notables[3]. Ce grand homme croyait également aux droits naturels des peuples et à la puissance de l’histoire. Dans le plan d’une vaste enquête sur l’état de la France, conçu par lui pour l’instruction du duc de Bourgogne, il eut soin de faire entrer le passé comme le présent, les vieilles mœurs, les vieilles institutions, comme les progrès nouveaux de l’industrie et de la richesse nationale. Il demanda, au nom du jeune prince, à tous les intendans du royaume, des informations détaillées sur les antiquités de chaque province, sur les anciens usages et les anciennes formes de gouvernement des pays réunis à la couronne[4]. De pareilles demandes semblaient provoquer un travail d’historien publiciste sur les origines et les révolutions de la société et du pouvoir en France. Quelqu’un répondit à cette sorte d’appel, mais ce ne fut pas l’un des grands érudits de l’époque ; ceux-là, membres, pour la plupart, de congrégations religieuses, étaient

  1. Voyez les Œuvres de Fénelon et la belle Notice de M. Villemain en tête de l’édition de 1825.
  2. Lettre au duc de Chevreuse, Œuvres complètes de Fénelon, tom. i, pag. 391.
  3. Plans de gouvernement concertés avec le duc de Chevreuse, pour être proposés au duc de Bourgogne, (Ibid., tom. III, pag. 446. Panthéon littéraire.)
  4. Cette demande fut adressée vers l’année 1695. Les mémoires envoyés par les intendans des généralités se trouvent au cabinet des manuscrits de la Bibliothèque royale ; ils forment de 15 à 20 volumes in-folio.