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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/752

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étrangers aux intérêts politiques, aux idées générales, et, pour ainsi dire, cantonnés chacun dans un coin de la science. Ce ne fut pas non plus un patriote désintéressé, ce fut un homme d’un savoir médiocre et préoccupé de regrets et de prétentions aristocratiques, le comte de Boulainvillers[1].

Cet écrivain, dont le nom est plus connu que les œuvres, issu d’une ancienne famille et épris de la noblesse de sa maison, s’était livré aux études historiques pour en rechercher les titres, les alliances, les souvenirs de toute espèce. Il lut beaucoup avec cette pensée, et, ayant éclairci à son gré ses antiquités domestiques, il s’occupa de celles du pays. Les documens législatifs des deux premières races, imprimés dans la collection de Baluze, furent pour lui l’objet d’une observation attentive et, sur certains points, intelligente. Il avait compris la liberté des mœurs germaniques et s’était passionné pour elle ; il la regardait comme l’ancien droit de la noblesse de France et comme son privilége héréditaire. Tout ce que les siècles modernes avaient successivement abandonné en fait d’indépendance personnelle, le droit de se faire justice soi-même, la guerre privée, le droit de guerre contre le roi, plaisaient à son imagination, et il voulait, sinon les faire revivre, au moins leur donner une plus grande place dans l’histoire. « Misère extrême de nos jours ! s’écrie-t-il avec une fierté dédaigneuse dans l’un de ses ouvrages inédits, misère extrême de nos jours qui, loin de se contenter de la sujétion où nous vivons, aspire à porter l’esclavage dans le temps où l’on n’en avait pas l’idée[2] ! » À ces élans de liberté à l’égard du pouvoir royal, il joignait une froideur imperturbable en considérant la servitude du peuple au moyen-âge. Enfin il avait, pour le présent comme pour le passé, la conviction d’une égalité native entre tous les gentilshommes, et d’une immense inégalité entre eux et la plus haute classe du tiers-état. Telles furent les idées sous l’influence desquelles se forma son système historique, système dont voici les points essentiels, formulés autant que possible avec le langage même de l’auteur.

« La conquête des Gaules est le fondement de l’état français dans lequel nous vivons, c’est à elle qu’il faut rapporter l’ordre politique suivi depuis par la nation ; c’est de là que nous avons tous reçu notre droit primordial. — Les Français conquérans des Gaules y éta-

  1. Voyez l’Histoire de l’ancien gouvernement de la France, par le comte de Boulainvillers, préface.
  2. Préface du Journal de saint Louis, manuscrit de la bibliothèque de l’Arsenal. B.L.F., no 131.