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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

idée est-elle raisonnable vraiment ? Et qui donc s’est plus appliqué que nous à les reconnaître, à les proclamer, à les découvrir, je ne veux pas dire à les inventer parfois ? Il est vrai qu’en fait de poètes chacun veut être admis, chacun veut être roi,

Tout prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages,

et qu’admettre tant de noms, c’est presque paraître ingrat envers chacun. Tant de justice rendue devient quasi une injure. Qu’y faire ? Nous préparons des matériaux à l’histoire littéraire future, nous notons les émotions sincères et variées de chaque moment. Nous ne sommes d’aucune coterie, et, s’il nous arrive d’en traverser à la rencontre, nous n’y restons pas. Plusieurs romanciers pourtant auraient droit encore de réclamer contre nos lenteurs ; leur tour viendra. Un coup d’œil général en rassemblerait utilement plusieurs comme assez voisins de procédé et de couleurs, et comme caractéristiques surtout des goûts du jour. Le plus célèbre, l’unique par sa position et son influence, George Sand est encore à apprécier dignement dans son ensemble. Les poètes, eux, ont bien moins à nous demander. Mais ce serait injustice de ne pas, un jour ou l’autre, s’occuper avec quelque détail d’une des femmes poètes les plus en renom, Mme de Girardin, malgré l’apparente difficulté d’aborder, même avec toutes sortes d’hommages, un écrivain dès long-temps si armé d’esprit : ce n’est là, à le bien prendre, qu’un attrait de plus. Les frères Deschamps, nos vieux amis, sont bien faits pour contraster de profil dans un même cadre. M. Brizeux pourrait se plaindre de n’avoir pas été classé encore comme auteur de Marie, s’il ne semblait en train de viser à une seconde manière sur laquelle il nous trouverait téméraire de vouloir anticiper. Revenant sur les succès sérieux au théâtre durant la restauration, un même article trouverait moyen d’atteindre M. Lebrun pour Marie Stuart, M. Soumet pour Clytemnestre, Pichald pour Léonidas. Mais on voit qu’après tout, nous tirons à la fin de la série, et que, sans la clore, nous n’aurons plus qu’à la tenir ouverte, l’arriéré étant tout-à-fait payé.

Il y a plus : on peut, en thèse générale, soupçonner qu’il ne se trouvera plus guère, dans les chemins battus par l’école moderne, de fruits immédiats à cueillir, et que, si l’on a encore à courir quelque temps ainsi, ce n’est qu’en sortant de ce qui fait déjà ornière que l’imprévu recommencera. Tout mouvement littéraire a son dévelop-