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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/1024

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REVUE DES DEUX MONDES.

pement plus ou moins long, après quoi il s’épuise, languit et tourne sur lui-même, jusqu’à ce qu’une autre impulsion reprenne et mène au-delà. « Percez-nous-en d’un autre, » disait Mme Desloges à Voiture, à propos d’un calembourg qui n’allait plus : de même en haute poésie. Deux signes sont à relever, qui montrent en général qu’une école est à bout, ou du moins qu’elle n’a plus à gagner et que ce n’est plus qu’une suite : 1o quand les chefs ne se renouvellent plus ; 2o quand les disciples et les survenans en foule pratiquent presque aussi bien que les maîtres pour le détail, et que la main-d’œuvre du genre a haussé et gagné de façon à faire douter de l’art. Or ceci s’est produit de tout temps, et particulièrement au XVIe siècle comme au nôtre, dans une ressemblance frappante. Étienne Pasquier écrivait à Ronsard en 1555, six ans seulement après que Du Bellay, dans l’Illustration de la Langue, avait sonné la charge et prêché la croisade : « En bonne foi on ne vit jamais en la France telle foison de poètes… Je crains qu’à la longue le peuple ne s’en lasse ; mais c’est un vice qui nous est propre, que, soudain que voyons quelque chose succéder heureusement à quelqu’un, chacun veut être de sa partie sous une même promesse et imagination qu’il conçoit en soi de même succès. » Pasquier veut bien croire que tous ces nouveaux écrivasseurs donneront tant plus de lustre aux écrits de Ronsard, « lesquels, pour vous dire en ami, continue-t-il, je trouve très beaux lorsqu’avez seulement voulu contenter votre esprit ; mais, quand, par une servitude à demi courtisane, êtes sorti de vous-même pour étudier au contentement, tantôt des grands, tantôt de la populace, je ne les trouve de tel alloi. » En sachant gré au poète de l’avoir nommé en ami dans ses écrits, il ajoutait : « Mais, en vous remerciant, je souhaiterais que ne fissiez si bon marché de votre plume à haut louer quelques-uns que nous savons notoirement n’en être dignes ; car ce fesant vous faites tort aux gens d’honneur. Je sais bien que vous me direz qu’êtes contraint par leurs importunités de ce faire, ores que n’en ayez envie. » De Thou, dans son Histoire (année 1559, liv. XXII), s’élève en des termes approchans contre cette cohue de poètes. C’était se révolter contre le propre triomphe de leur cause ; chaque école victorieuse meurt vite de l’abondance de son succès ; même sans avoir pris Rome, elle a sa Capoue. Selon moi, des traits pareils se reproduisent assez exactement aujourd’hui.

Et d’abord, les chefs ne se renouvellent plus ; ils se dissipent ou ne font que récidiver. Je ne rappelle ici que les deux principaux. Il faut tout voir sur M. de Lamartine, et, en étant sévère là où il convient,