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l’avait rattachée à dessein. Cet écueil a été habilement évité par M. Kératry, et, dans Une fin de Siècle, la part est faite avec une rare sagacité à l’histoire comme au roman. Nous croyons inutile d’analyser avec détail l’ouvrage de M. Kératry ; il nous suffira d’en indiquer ici la donnée, qui est la passion se sacrifiant au devoir. Ce noble thème a fourni à M. Kératry plus d’un chapitre éloquent et pathétique. Berthe et Silfrid, qui personnifient l’amour chaste et résigné, sont deux figures pleines de charme, auxquelles on ne peut refuser sa sympathie. Les autres personnages du roman, à l’exception d’un type de mère insensible et orgueilleuse, sont conçus avec le même bonheur et excitent tous un vif intérêt. Quant à la forme, c’est surtout par le naturel et la simplicité qu’elle se distingue ; quelquefois peut-être cette simplicité dégénère en négligence ; néanmoins l’ensemble de l’œuvre porte les traces d’une exécution patiente. L’inspiration d’Une fin de Siècle n’a pas seulement le mérite de la générosité et de la franchise : elle a encore celui de la maturité.


— Les théories sociales qui abondent de nos jours sous toutes les formes, ont eu dans le passé bien des précédens dont elles ne sont souvent que des épreuves nouvelles, et des épreuves pas toujours corrigées. Un jeune écrivain qui s’attache aux doctrines sociétaires modernes, mais sans esprit d’exclusion, M. Villegardelle, a conçu l’idée heureuse de publier, en les commentant, les principales de ces utopies produites dans les derniers siècles. Il a commencé par le Code de la Nature[1], ouvrage attribué à Diderot, mais qui est d’un autre philosophe moins connu, Morelly. Dans une notice raisonnée, M. Villegardelle apprécie et critique les idées et les plans d’organisation de son auteur, qui est le précurseur le plus direct de Babeuf et d’Owen. Il nous promet, dans une publication prochaine, une traduction de la Cité du Soleil, utopie de Campanella. On ne saurait qu’applaudir à ces essais de critique et d’érudition qui rappellent utilement les systèmes du passé à des doctrines toutes préoccupées de l’avenir.


V. de Mars.
  1. Chez Delaunay, libraire au Palais-Royal.