Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/793

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
789
MARIE D’ÉNAMBUC.

sans mourir. D’ailleurs, je ne saurais le tromper ; il devinerait la vérité, il voudrait rester… Non, non, qu’il parte, qu’il parte ! il y va de sa vie !… Aveugle que j’étais ! j’avais pu croire que Loinvilliers ne se vengerait pas… Oh ! certainement il tuerait Henry… Seule ici, je ne le craindrai plus. N’ai-je pas déjà lutté contre son influence, contre son ambition, contre son amour ?… Puis viendra enfin le jour de ma délivrance… Mais à présent, c’est à Maubray qu’il faut songer… Allez le trouver, docteur ; dites-lui de se rendre sans délai à bord du Saint-Malo, et d’y attendre une lettre de moi. Dites-lui que je lui ai fait mystère d’un dessein qui m’occupait depuis son arrivée ici, et que je vais le lui faire connaître. Dites-lui que je vais exiger de son amour le plus grand sacrifice ; dites-lui qu’il y va de ma vie, de notre bonheur. Oh ! il me croira, il partira… Je vais envoyer mes ordres au capitaine… Docteur, vous ne quitterez pas Maubray, vous l’empêcherez de revenir à terre. Allez, mon vieil ami, je me fie à vous.

En ce moment, une voix se fit entendre dans le premier salon ; la maison de Mme d’Énambuc se réunissait pour la suivre à l’église.

— C’est lui ! murmura Marie en fuyant dans sa chambre. Oh ! mon Dieu, donnez-moi la force et le courage !

— Je vais vous obéir, madame, dit vivement le docteur ; soyez tranquille : j’ai tout compris.

Un peu après, Mme d’Énambuc monta en litière pour se rendre à l’église du Mouillage. Elle tenait son fils sur ses genoux. Toute sa maison la suivait, et la compagnie des gardes précédait sa litière. Cet apparat n’était d’usage qu’aux jours de grande fête, et l’on remarqua avec un certain étonnement l’espèce de solennité dont s’était entourée la petite reine. L’église était déjà pleine de monde, son étroite enceinte contenait à peine les privilégiés, les gens de pure race blanche ; les peaux noires, les esclaves, se tenaient dehors, et assistaient de loin aux offices, comme autrefois en Europe les excommuniés. Marie aperçut en entrant le comte de Loinvilliers au milieu d’un groupe nombreux. Il était encore tout malade et affaibli ; mais son regard noir et brillant avait toujours la même expression de vivante énergie. Au moment où Marie parut, tous les regards se tournèrent vers elle, et le plus profond silence régna dans la nef. Loinvilliers avait cherché Maubray d’un rapide coup d’œil.

— Par le corps du Christ ! murmura-t-il en serrant le bras de Ricio, je ne le vois pas ! il n’est pas venu !

Marie traversa la nef d’un pas lent, et vint s’agenouiller avec son