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fils au prie-dieu préparé pour elle devant la sainte table. Déjà le père Du Tertre avait reçu ses instructions ; avant de commencer la messe, il s’arrêta au pied de l’autel, et se retournant vers l’assemblée, il dit à haute voix :

— Mes frères, joignez-vous d’intention au saint sacrifice que je vais offrir, et demandez à Dieu de répandre ses bénédictions sur ce jeune enfant et sur sa mère. C’est aujourd’hui que madame se sépare de son fils pour l’envoyer en France, où il doit être élevé selon l’expresse volonté de son défunt père, autrefois seigneur de cette île. Prions, mes frères, pour que Dieu garde et protége la veuve et l’héritier du général d’Énambuc.

À ces mots, l’assemblée entière s’émut, et tous les yeux se tournèrent vers Marie avec étonnement : elle s’était levée.

— Oui, dit-elle, mon fils vient vous faire ses adieux, il ne reviendra ici que dans bien des années, quand il sera un homme. Alors, il ne démentira pas le sang dont il sort, il se souviendra des exemples que lui a légués son père ; maintenant je le confie à des mains sûres : c’est sa révérence le père Du Tertre et M. le marquis de Maubray qui l’emmènent en France.

À cette déclaration si inattendue, il y eut un mouvement dans le groupe qui environnait Loinvilliers ; tous ces visages sombres et attentifs se tournèrent vers le comte. Il sourit d’un air calme et se mit tranquillement à genoux pour entendre la messe qui commençait. La triste Marie priait et pleurait prosternée devant l’autel ; ses mains froides et tremblantes serraient les mains de son fils, elle lui parlait tout bas comme pour soulager son cœur.

— Ah ! mon cher enfant, disait-elle, je reste seule ici, seule et désolée ! Tu me chercheras demain, tu m’appelleras…, mais celui auquel je te confie t’aimera aussi… Si quelque danger te menace, il te défendra, il te sauvera ; bientôt tu seras avec lui dans ce beau pays que j’ai tant aimé et regretté ; prie Dieu alors, pauvre enfant innocent ! prie-le pour que ta mère puisse aller te rejoindre !

Quand la messe fut finie, et que Marie sortit tenant son fils par la main, on se pressa autour d’elle, les femmes pleuraient en regardant ce bel enfant qui les saluait en souriant d’un air de petit prince. La nouvelle du départ de Maubray avait tout à coup calmé les esprits, et la petite reine recueillit sur son passage des marques de sympathie qu’on ne lui eût pas accordées quelques heures auparavant.

La malheureuse femme accomplit courageusement son sacrifice ; en rentrant au fort, elle écrivit à Maubray ; sa lettre ne contenait