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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/99

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LES MISSISSIPIENS.

aujourd’hui. J’ai aimé Julie, je l’ai aimée passionnément, et quoique j’aie été pour elle un frère et rien de plus (je puis l’attester devant Dieu !), je sens qu’il me serait aussi impossible d’avoir de l’amour pour sa fille que pour elle désormais. Il est des sentimens qui meurent à jamais en nous quand on les brise violemment. Il est aussi des incestes du cœur, et ceux-là ne sont pas les moins criminels peut-être. Ma pensée les a toujours repoussés sans indulgence, et le jour où, voyant Louise sacrifiée, je l’ai prise sous ma protection, c’est en faisant le serment devant Dieu de l’aimer comme si elle était ma fille, jamais autrement ! Je l’ai préservée d’un mariage qui eût fait son désespoir et le vôtre ; je l’ai réconciliée avec sa mère, je le vois ; j’ai veillé sur elle pendant un an, et maintenant je la laisse heureuse, aimée, protégée, n’est-ce pas, Julie ?

JULIE, lui presse la main avec force.

Oh oui ! Léonce, vous m’avez rendu le cœur de ma fille, et vous avez relevé le mien du désespoir et de l’abjection.

BOURSET.

Eh bien ! maintenant, que voulez-vous donc ?

GEORGE, à Julie.

Rien que lui dire adieu !

JULIE.

La voici !


Scène v.


Les précédens, LOUISE, LA MARQUISE.
GEORGE, s’approchant de Louise.

Louise, vous prierez pour moi, je retourne en Amérique. Il y a long-temps que je me croyais et que je m’étais fait mort pour la France, lorsqu’une curiosité sérieuse m’y poussa de nouveau. Je m’imaginais que la société devait valoir mieux qu’au temps où je l’avais quittée ; mais je n’ai pas trouvé ce que j’espérais, et je vais revoir mes forêts tranquilles et mes patiens laboureurs. Un ange m’est apparu pourtant sur cette terre ingrate. Son souvenir me suivra partout. Que le mien ne soit pas effacé en vous, mon enfant ; qu’il soit pur et serein comme ma tendresse pour vous.

(Il l’embrasse au front et se retourne vers Julie, qui se jette dans ses bras en pleurant.)
LA MARQUISE, à qui le duc a parlé bas.

Oui, grand Dieu ! je m’en étais souvent doutée. Ah ! mon enfant, ne nous quitte pas au moment où nous te retrouvons.

GEORGE, à la marquise.

Ma tante, vous avez ri bien cruellement à mon premier départ.

LA MARQUISE.

Tu ne l’as pas oublié !