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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/100

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REVUE DES DEUX MONDES.

GEORGE.

Je ne m’en suis souvenu qu’ici. De loin, je l’oublierai encore. (La marquise l’embrasse. Il salue Bourset et le duc, et sort en jetant à Julie et à Louise un dernier regard. Louise, qui s’est contenue tant qu’il a été présent, se jette dès qu’il est sorti dans le sein de sa mère. La marquise l’emmène.)


Scène VI.


LE DUC, BOURSET, JULIE.
BOURSET, à part.

Amen ! (Haut.) Madame Bourset, vous gâterez vos beaux yeux à pleurer ainsi.

JULIE.

Monsieur, je n’ai pas voulu que ma fille entendît révéler vos secrets. Mais moi, cachée ici près, j’ai tout entendu. J’ai appris des choses que je n’avais jamais soupçonnées. Je vous ai aidé jusqu’ici dans vos projets de fortune ; j’ai partagé vos richesses et votre enivrement. J’ai même été vaine, ambitieuse, et j’en rougis ; mais vous aviez ennobli ce vice à mes yeux en me faisant croire que nous accomplissions une grande œuvre, que notre luxe faisait prospérer la France, et que nous étions au nombre de ses bienfaiteurs. Si je restais votre dupe un jour de plus, je serais forcée de me regarder comme votre complice, car je sais que nous ne sommes plus que des spoliateurs. Souffrez que, sans manquer à mes devoirs et sans rompre le lien qui m’attache à vous, je sépare mes intérêts, mes vœux et mes habitudes des vôtres. Je serais un prétexte à votre faste et à votre ambition, et je ne veux pas l’être. Je me retire dans une petite maison de campagne avec ma fille ; nous y vivrons de peu, nous y serons heureuses l’une par l’autre. Vous reprendrez tous les diamans que vous m’avez donnés ; je ne veux plus rien qui me rappelle que ces misérables jouets ont ruiné plus de cent familles. Adieu, monsieur, tâchez de vous acquitter ! N’ayant pas assez d’influence sur vous pour vous y amener, je n’y serai du moins pas un obstacle, et je ne rougirai devant personne.

BOURSET, avec une rage concentrée.

Allez, et que le ciel vous conduise ! Voilà qui porte à mon honneur un dernier coup !

LE DUC.

Entre nous soit dit, vous l’avez un peu mérité, Bourset, mon ami. (À Julie.) Vous êtes fort émue, madame ; permettez-moi de vous conduire jusqu’à votre appartement. (Il sort avec Julie.)


Scène VII.


BOURSET, seul.

Mérité ! mérité ! cela est facile à dire ! Que faire ? Le grand coup de théâtre ? Le moment est-il déjà venu et la crise décisive ?… Oui, il faut risquer le tout