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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/135

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MANCHESTER.

d’entamer avec eux des relations. Le champ de récréation n’est ouvert que les samedis soirs et les jours de fête durant l’été. »

Mais la partie la plus remarquable de ce plan de civilisation appliqué à la classe ouvrière consiste dans les efforts que MM. Greg paraissent avoir faits pour rehausser les ouvriers à leurs propres yeux et pour leur donner, avec les habitudes d’une société décente, le sentiment de leur dignité. La philanthropie, dans ses momens d’erreur, s’est quelquefois proposé d’élever les travailleurs au-dessus de leur condition ; de là, tant de positions équivoques, d’individus déplacés, d’existences manquées. MM. Greg agissent plus raisonnablement ; c’est la condition même des classes ouvrières qu’ils cherchent à élever. Ils renversent la barrière qui séparait les manufacturiers de ceux que les manufacturiers emploient, et les uns déposant leur hauteur, les autres se dépouillant de leur grossièreté, un rapprochement peut s’établir entre eux. Écoutons encore M. Greg.

« Un des expédiens les plus heureux auxquels nous ayons eu recours pour civiliser nos ouvriers a été celui de leur donner des soirées pendant l’hiver. Nous réunissons ordinairement trente personnes, les plus âgés des jeunes filles et des jeunes garçons, en nombre égal. Ils viennent sur une invitation spéciale ; l’on envoie à chacun d’eux une petite carte imprimée sur laquelle sont indiqués le jour et l’heure de la réunion. Il entre dans nos plans de montrer autant d’égards qu’il est possible à ceux que j’engage ainsi à se joindre à notre société. Nous ne les invitons pas indistinctement, et parmi tant d’ouvriers que j’emploie il en est nécessairement quelques-uns qui, d’après mon système, n’ont jamais pris part à ces soirées. Nous portons sur notre liste ceux qui se distinguent de leurs camarades par le maintien et par le caractère, et ceux auxquels il n’a manqué pour se polir qu’un peu d’encouragement et la fréquentation de la bonne société. J’ai soin de n’oublier entièrement aucune famille ayant des membres en âge de participer à ce divertissement, surtout lorsqu’ils fréquentent l’école du dimanche ; en sorte que, sur les trois cents ouvriers de la manufacture qui vivent dans notre colonie, le nombre des éligibles s’élève à cent soixante. Parmi ceux-ci toutefois, les plus distingués, ceux qui forment l’aristocratie de l’endroit, sont invités plus fréquemment que les autres, soit parce que leur présence est absolument nécessaire pour le bon ordre et pour le succès de la réunion, soit parce que nous voulons montrer par des attentions particulières le cas que nous faisons d’eux.

« Ces soirées se tiennent dans la salle de l’école, que j’ai disposée avec élégance, qui est garnie de bustes, de peintures, et où se trouve aussi un piano. Comme elle est attenante à ma maison, cette proximité facilite les arrangemens à prendre pour les rafraîchissemens ainsi que pour les jeux.