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Malgré tous les efforts, le public paraît s’éloigner des théâtres. Autrefois le roi et sa famille leur accordaient une protection déclarée ; ils assistaient au moins à une représentation par semaine ; la cour les imitait. Cet usage n’existe plus. Le changement des heures du dîner retient dans leurs hôtels l’aristocratie et les classes riches. Il faudrait, pour s’accommoder à leurs habitudes, ne commencer qu’à dix heures du soir, et alors les classes inférieures s’éloigneraient à leur tour. La mode, dans la société distinguée, est de ne plus aller au théâtre. On assiste aux concerts du matin, on lit chez soi les pièces en vogue ; on ne désire point les voir jouer. La curiosité publique en général s’est, dit-on, refroidie. L’esprit de secte et de rigorisme crée d’autres entraves. Les théâtres sont souvent fermés par des motifs de religion. À Cambridge, pendant longues années, aucun théâtre ne put obtenir la permission de s’ouvrir même pendant les vacances de l’université et pour l’amusement exclusif des habitans de la ville. Le goût public a sa part dans le déclin du théâtre. Au dire de Kean, les Anglais ne sont point une nation dramatique, et l’art est plus que jamais en décadence. Les auteurs abandonnent les sujets nobles ou élevés pour embrasser les genres secondaires, ou renoncent au théâtre pour les recueils périodiques et les romans.

Tel est, dans son ensemble, l’état du théâtre en Angleterre : nulle scène ouverte au public si elle n’est autorisée, nulle représentation si l’ouvrage n’a été censuré. Les auteurs, long-temps livrés aux plus criantes exactions, ont enfin obtenu une loi protectrice. Les comédiens, abandonnés à eux-mêmes, sont pour la plupart pauvres et malheureux. Les entreprises dramatiques souffrent, l’art n’est point encouragé, le public s’éloigne.

L’organisation française offre des analogies nombreuses et des dissemblances frappantes. La plus considérable tient à la différence générale du système d’administration adopté dans les deux pays, l’un s’appuyant sur une organisation puissante, sur les ressorts énergiques de la centralisation, l’autre refusant au gouvernement toute force d’initiative et d’impulsion, et s’en rapportant au zèle des intérêts privés du soin d’assurer l’exécution des lois. On jugera du contraste par le tableau que nous allons présenter.

II.

En France comme en Angleterre, l’existence légale des théâtres est subordonnée à une double condition : nécessité d’une autorisation