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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/399

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LES THÉÂTRES.

spéciale dont le gouvernement dicte les clauses en vue de l’utilité publique, et obligation de soumettre à une censure préalable les ouvrages destinés à la scène. Ce régime, pratiqué de temps immémorial et suspendu seulement pendant les premiers accès de la fièvre révolutionnaire, n’est pas en opposition avec le principe de la liberté industrielle. Même en matière commerciale, la concurrence est restreinte lorsqu’on la suppose préjudiciable aux intérêts du plus grand nombre. Pourrait-on mettre en doute la nécessité de réglementer très sévèrement un genre de spéculation qui fournit à notre société frivole son principal aliment intellectuel ?

Ce n’était donc pas pour conserver aux élus du pouvoir les bénéfices du monopole qu’on opposait autrefois des difficultés nombreuses à la multiplication des théâtres. Les règles suivies par l’administration, en pareille circonstance, avaient leur principe dans des sentimens d’un ordre plus élevé. Quand Louis XIV, en fondant l’Opéra, lui concédait le monopole de toute représentation musicale ; quand plus tard il inféodait ce privilége à Lully, il croyait avancer l’art en favorisant son plus illustre interprète ; quand il réunissait en une seule société la troupe de l’hôtel de Bourgogne et celle de Molière, il se proposait de « rendre plus parfaite la représentation des comédies. » Son génie avait compris que l’unité, la discipline, la hiérarchie, étaient les conditions nécessaires du progrès, et qu’un gouvernement éclairé ne pouvait point livrer la scène aux hasards des efforts privés et aux luttes aveugles de la concurrence. Ces traditions prévalurent jusqu’en 1789 ; aucun théâtre ne put être ouvert, tant en province qu’à Paris, sans un privilége du roi, conféré par arrêt du conseil.

Les principes de liberté proclamés par l’assemblée constituante commencèrent pour le théâtre une ère nouvelle. Les restrictions qui lui avaient été imposées jusqu’alors furent considérées comme une atteinte aux théories triomphantes, comme une entrave à l’industrie qu’on croyait vivifier, en l’affranchissant de tout lien. La loi du 19 janvier 1791 déclara que « tout citoyen pourrait élever un théâtre public et y faire représenter des pièces de tous les genres, » sur une simple déclaration faite à la municipalité du lieu. Ainsi, suivant une formule souvent répétée, on put jouer tout et partout. Les entreprises théâtrales se multiplièrent comme par enchantement. À Paris seulement, on n’en comptait pas moins de quarante pendant les années les plus terribles de la révolution. Cette indépendance absolue fut-elle favorable à l’art ou du moins à l’industrie ? Pas plus à l’un qu’à l’autre. La littérature dramatique tomba dans l’avilissement malgré le succès