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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/74

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Esné est le principal séjour des almées que Méhémet-Ali, cédant aux représentations des ulémas, a bannies du Caire. Dans son imitation des procédés de la civilisation européenne, il s’était empressé d’abord d’en faire une matière d’impôt.


Sur le Nil, 30 janvier.

La splendeur et la richesse de la lumière sont ici incomparables, c’est quelque chose de plus que la Grèce et l’Ionie elle-même. Les teintes roses de l’aube, la pourpre ardente, l’or embrasé des soleils couchans au bord du Nil surpassent encore les plus gracieuses et les plus éblouissantes scènes de lumière d’Athènes et de Smyrne. Ce n’est plus l’Europe ni l’Asie Mineure, c’est l’Afrique. Le soleil n’est pas radieux, il est rutilant ; la terre n’est pas seulement inondée des feux du jour, elle en est dévorée. Aussi dans ce pays le soleil, sous les noms d’Ammon-ra, d’Osiris, d’Horus, était le dieu suprême. Il suffit de venir en Égypte, même au mois de janvier, pour ne pouvoir douter que la religion égyptienne était une religion solaire. L’éclat de la nuit est encore plus extraordinaire que celui du jour. Si Racine le fils, qui n’était jamais sorti de France, a pu dire, il est vrai d’après Homère, nuit brillante[1], j’ai peut-être ici le droit de parler de la splendeur des nuits d’Égypte. Nous employons les longues soirées que nous fait le voisinage des tropiques à contempler les astres. Nous regardons la constellation que la flatterie d’un poète alexandrin, Callimaque, nomma chevelure de Bérénice. Ce nom de Bérénice que nous avons déjà lu tant de fois sur les monumens, les étoiles qui composent cette constellation semblent le tracer dans le ciel en hiéroglyphes lumineux et impérissables. Nous aimons à voir toujours devant nous Canopus, cette belle étoile, invisible en France, et presque aussi brillante que Sirius. L’étoile polaire s’est abaissée vers l’horizon. Des astres nouveaux, une nouvelle physionomie du ciel, donnent encore mieux qu’une terre nouvelle la sensation du lointain, du dépaysé. Nous verrons bientôt la croix du sud, ce flambeau d’un autre hémisphère qui éclaire chez hante les abords mystérieux du paradis.

Si Osiris, qui a pour hiéroglyphe un oeil sur un trône, est Lui dieu soleil, Isis, qui porte sur la tête le disque surmonté de deux cornes formant le croissant, Isis est la lune, on n’en saurait douter. Le disque horizontal de l’astre nous semble figurer la barque de la déesse.

La population actuelle des bords du Nil a pour fonds l’ancienne population égyptienne plus ou moins pure. La langue des fellahs est l’arabe, mais ils ne sont purement Arabes ni par le type physique ni par le caractère moral. Ils sont encore Égyptiens, ou du moins il est

  1. C’est du moins l’opinion du savant docteur Pruner. (Die Uberbleibsel der alten AEgyptischen Menschen-race.)