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À côté d’eux se trouvent en assez grand nombre des Italiens, surtout des Piémontais. La plupart s’emploient aux mines du mont Alexandre, près de Castlemaine. Les Américains sont venus aussi apporter leur part d’activité et d’industrie. Ils occupent tout un quartier de Melbourne, au milieu duquel flotte, sur l’hôtel de leur consul, le drapeau aux bandes étoilées. Initiative, concurrence, entreprises hardies, tout ce qui fait reculer les autres est la part qu’ils s’adjugent. Ils se réunissent annuellement à l’occasion de leur fête nationale du 4 juillet, et passent trois jours en réjouissances. Le gouvernement ne voit pas rappeler ce souvenir d’indépendance avec plaisir ; frère Jonathan répète bien souvent d’ailleurs à son jeune parent d’Australie que les peuples nouveaux ont plus de sève et de valeur que les vieilles nations.

Quant aux Français, ils sont assez nombreux. Le commerce du vin de Bordeaux et de l’eau-de-vie est en grande partie dans leurs mains. Aux mines, ils sont actifs et turbulens, changent volontiers d’habitudes, retiennent peu de chose de leur nationalité, et ne font pas corps autant que les autres peuples. Un touriste anglais racontait, il y a deux ans, qu’il rencontra un jour, gardant philosophiquement des moutons, un jeune homme dont la physionomie distinguée contrastait avec de grossiers vêtemens. La conversation engagée, l’Anglais est surpris de trouver à son interlocuteur une variété de connaissances peu communes ; il s’informe des circonstances qui l’ont conduit au bord de Bet-Creek et de pike-Range, et apprend que ce jeune homme, Français de naissance, a été pris un jour d’une soif irrésistible de mouvement et de curiosité en lisant des descriptions de l’Australie dans les journaux anglais. Il est parti. Débarqué à Melbourne, il a vu son petit capital rapidement absorbé par de timides essais de commerce. Il a couru aux mines ; mais, mal exercé, mal outillé, presque toujours exploité dans cette foule où il n’a pas d’amis, le Français échoue là où peut-être eût réussi un jeune Chinois. Il est revenu à la ville ; malheureusement il n’est ni maçon, ni jardinier, ni charpentier, ni cordonnier, ni tailleur, et ne sait que faire. Si le public s’y prêtait, il pourrait essayer de lui faire goûter dans des lectures la poésie des Géorgiques, le charme d’Horace, ou se livrer à des études de littérature comparée ; mais au Victoria on a peu le goût des lettres. Alors il ne lui restait qu’à choisir entre les professions de domestique, de portefaix, et de gardeur de troupeaux. Il a préféré la dernière. Ce n’est d’ailleurs pas un mauvais métier : son maître lui donne 40 livres, et le défraie de tout, et on lui a expliqué qu’avec de l’économie il aura dans trois ans le moyen d’acquérir un troupeau et de l’exploiter à son compte. Si un parent auquel il s’est adressé dans l’espoir d’obtenir les fonds nécessaires pour rentrer en France ne lui répond pas, qui sait si un