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application à de grandes figures de ce procédé délicat, tenter par conséquent ce qu’on faisait si bien à Eleusis deux mille ans avant lui, c’est là ce qu’aucun exemple n’avait pu lui apprendre. Rien de plus fréquent que ces retours spontanés et instinctifs à d’anciennes méthodes oubliées et ensevelies. Si je disais que parmi les sculptures de notre moyen âge, celles qu’on peut sans crainte appeler des chefs-d’œuvre, vrais modèles de sentiment moral et d’onction religieuse, sont conçues et exécutées dans l’esprit de l’école de Phidias, j’aurais l’air de faire un paradoxe, et pourtant je n’affirmerais que la chose du monde la plus facile à démontrer. Une madone du XIIIe siècle, drapée et modelée naïvement par un habile imagier qui n’a pas vu d’antiques, mais qui consulte la nature tout en obéissant à la foi, ressemble plus à une statue de Phidias et en reproduit mieux les beautés essentielles qu’un marbre sculpté à Rome au temps des Antonins par un savant et subtil praticien venu de Simone ou d’Athènes.

Mais ce n’est pas le lieu d’aborder cette thèse : je ne veux aujourd’hui qu’appeler l’attention sur le trésor qui nous est révélé. Le bas-relief d’Eleusis sera bientôt, dans l’Europe entière, connu des vrais amis de l’art ; sa place est marquée d’avance dans les musées, dans les écoles, à côté de la Vénus de Milo ; comme elle, il doit faire époque et ouvrir une phase nouvelle de découvertes et d’investigations dans le sol hellénique. Outre sa valeur propre, quelle ardeur de recherches, que d’espérances, que de promesses ne contient pas un tel chef-d’œuvre !

C’est déjà plus qu’une espérance que cette tête colossale trouvée dans son voisinage. Au dire de Pausanias, non loin du temple de Triptolême, il y en avait un autre consacré à Neptune. Tout permet donc de supposer que c’est la tête de ce dieu qu’on vient de retrouver en démolissant un vieux mur. Le masque seul a pu être moulé, le derrière de la tête étant encore encastré dans la maçonnerie, et par malheur le masque est assez mutilé. Le nez a disparu jusque dans sa racine ; mais tous les autres traits ont à peine souffert, et sont d’une telle puissance que malgré sa blessure la figure conserve un magnifique aspect. Comme façon et comme travail, c’est la contre-partie, l’antipode du bas-relief. La fougue, l’abondance, l’élévation du modelé, ne peuvent être poussées plus loin. On dirait que la main d’un autre Michel-Ange a creusé sur ce front cette ride profonde et fait jaillir ces masses de cheveux. C’est l’ardeur et la verve presque démesurée du Phidias florentin. Rien de trop cependant, quand on mesure la hauteur où ce marbre devait être placé. À son vrai point de vue, c’était sans doute une vivante image du dieu de la tempête. Cette facture un peu lâchée n’est pas toujours un signe de décadence. Les têtes qui nous restent des deux