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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/1017

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vexations que le roi de Naples ne tolérerait pas. L’Angleterre est arrivée de la sorte à détruire en ce pays non-seulement sa propre influence, mais aussi, jusqu’à un certain point, celle des autres nations civilisées, car les Orientaux ne distinguent pas, et il est impossible qu’une puissance européenne perde son prestige à leurs yeux sans que toutes les autres en souffrent. L’impression générale des musulmans en Syrie est que les princes francs, affaiblis ou divisés, intimidés en même temps par la puissance colossale de l’empire turc, sont incapables de protéger réellement leurs propres sujets, à plus forte raison les rayas, en sorte que si un massacre avait lieu, le sultan ordonnerait au pacha de Beyrouth de saluer les pavillons français et anglais, et tout serait dit. Il en résulte que nous vivons de jour en jour et d’heure en heure dans l’attente d’un drame effroyable qui mettra fin aux destinées du christianisme en Syrie, et que l’histoire connaîtra sous le nom du massacre de Damas !

À voir comment les choses se passent dans la montagne, on jugeait qu’un massacre à Damas, suivi de faits analogues dans les autres villes de Syrie, serait non-seulement une éventualité probable, mais une affaire réglée d’avance. Le gouvernement turc trouve que les chrétiens de l’empire, en particulier ceux de Syrie, commencent à se départir singulièrement des conditions auxquelles le Coran leur permet de vivre. Depuis la promulgation du tanzimat et surtout du hatti-howmayoun qui a suivi la guerre de Crimée, les chrétiens osent affirmer et souvent même revendiquer leurs droits aux concessions proclamées à la face de l’Europe, et plus d’une fois les musulmans, tenus en échec par l’influence des consuls, n’ont pu empêcher les chrétiens de se prévaloir du firman et de l’exécuter eux-mêmes à leur profit. Les chrétiens de la nouvelle génération et une partie de ceux de l’ancienne ont dépouillé le turban noir, les vêtemens obscurs et l’air craintif qui étaient l’apanage légal et héréditaire des hommes de leur religion, pour revêtir le tarbouch écarlate des Osmanlis, les robes aux mille couleurs, dont les vrais croyans avaient seuls le droit de se parer. On les voit affecter l’air dégagé des enfans de la Grèce libre. Que dis-je ? certaines femmes chrétiennes osent porter de larges culottes de soie d’un vert aussi éclatant que si elles avaient été taillées dans l’étendard même du prophète ! Il existe un firman en vertu duquel les chrétiens doivent être appelés au service militaire, avec faculté de se faire remplacer. Lorsque le gouvernement prétendit exiger d’eux, au lieu de soldats, un impôt de remplacement cinq fois plus élevé que la capitation qu’ils payaient avant la guerre, ils eurent le courage de déclarer que leurs fils étaient prêts à servir le sultan, mais qu’ils n’avaient pas d’argent à donner. Le résultat de leur persévérance dans cette ligne de conduite a été que jusqu’à ce jour le gouvernement n’a point obtenu leur argent, et n’a point accepté leurs soldats. La population chrétienne d’ailleurs commence à rechercher l’instruction, à s’instruire dans les écoles fondées par les missionnaires protestans et catholiques. Quand on songe que les chrétiens composent la majorité de la population de l’empire, il est facile de voir où doit conduire leur émancipation, et les Turcs ont assez de bon sens pour le deviner. La guerre d’extermination qu’ils ont suscitée dans le Liban, quoiqu’elle ne décèle pas en eux une imagination bien fertile en expédiens nouveaux, montre qu’ils ont compris qu’il y avait quelque chose à faire. Changer