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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/1018

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pour jamais en désert une nouvelle province après tant d’autres, remplir les provinces voisines de mendians, de veuves et d’orphelins fugitifs, c’est là le moyen administratif qui a toujours réussi à maintenir l’ordre tel que le gouvernement turc l’entend, et sur l’infaillibilité duquel il a compté une fois de plus.

Personne ne peut savoir si un massacre à Damas et dans les autres villes de l’intérieur est aussi dans, la politique des Turcs. Ce que nous savons, c’est qu’il y a deux jours à peine les Druses pouvaient impunément tuer et piller les chrétiens au milieu d’un village musulman à une heure de Damas. Si deux cents Druses entraient dans le quartier chrétien et commençaient le carnage et le pillage, toute la canaille musulmane les aiderait, comme elle le déclare hautement. Le moment est favorable. Jamais aussi nombreuse population chrétienne n’a été agglomérée dans la ville, ou plutôt dans un seul quartier. Les chrétiens sont sans armes, terrifiés, et n’offriraient pas plus de résistance qu’à Hasbâya. Prévenir la catastrophe par la fuite est impossible. Aucune route n’est sûre : les Druses, les musulmans et les brigands sont partout. Nous sommes entièrement à la merci d’une insurrection, et nous n’avons pour nous protéger que mille bachi-bozouks levés à la hâte, plus semblables à des brigands qu’à des soldats, et cinq cents hommes de troupes régulières, parmi lesquels les héros de Hasbâya et leur chef Osman-Bey ! Le pacha a fait ses préparatifs pour s’enfermer avec les troupes dans la citadelle, où il va déjà dormir chaque nuit, en nous abandonnant à notre destinée. On dit cependant qu’Abd-el-Kader, qui depuis quelques années vit retiré à Damas, se propose de nous défendre en cas de besoin avec les mille soldats qui l’ont suivi dans son exil.

Il faut espérer que les grandes puissances prendront sans retard des mesures efficaces, qu’elles pourvoiront immédiatement à la sécurité des Européens et des populations chrétiennes, puis qu’elles obtiendront réparation des massacres accomplis. Il faut qu’elles s’emploient elles-mêmes à cet office ; il ne faut pas qu’elles s’en remettent au gouvernement turc, ou même le chargent simplement d’exécuter leurs résolutions ; elles perdraient tout le prestige de l’autorité qui doit leur appartenir aux yeux des indigènes, et commettraient un acte de faiblesse qui ne ferait qu’encourager de nouveaux attentats. Il ne s’agit pas ici de traiter la Turquie comme une puissance européenne : elle-même n’a pas cette prétention. Un châtiment terrible n’est pas le seul devoir de l’Europe relativement à la Syrie. Il faut prévenir le retour de pareilles scènes, et donner à ce pays une organisation régulière, une autorité capable de maintenir l’ordre. Il n’y va de rien moins que de l’existence même du christianisme sur la terre qui fut son berceau.

La Syrie ne saurait prospérer tant qu’elle sera soumise à la domination des Turcs, peuplade étrangère, et dont les proconsuls, changés tous les ans, ne songent qu’à amasser, per fas et nefas, eux, leurs valets et les valets de leurs valets, autant d’argent qu’ils en peuvent voler dans douze mois, jusqu’à ce qu’ils cèdent la place à de plus affamés. Qu’attendre d’un pareil gouvernement ? Ce que l’on peut raisonnablement exiger de lui, c’est qu’il fasse balayer les rues, arrêter les malfaiteurs, dispense les citoyens de recourir à la guerre privée pour le règlement de leurs querelles, puis de payer tribut à des chefs étrangers sous peine d’être exposés à leurs attaques. Un gouvernement qui