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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/445

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du Nord qu’elle ne prit souci des dispositions du continent. Elle comptait sur les agitations de l’Europe et poursuivait en aveugle le cours de ses envahissemens. Les plus dangereux étaient peut-être les plus cachés, c’est-à-dire ceux qu’elle tentait d’achever à l’extrémité septentrionale de la péninsule Scandinave, dans le Finnmark et la Laponie norvégienne. Rien de plus curieux que cet épisode peu connu, sinon des diplomates et des hommes d’état, qui a eu pour théâtre la contrée la plus reculée, la plus triste et la plus désolée peut-être de tout le continent européen ; rien de plus propre à démontrer cette solidarité des peuples en vertu de laquelle la cause commune de leur indépendance menacée a réuni les intérêts des pauvres pêcheurs de quelques baies du Nord et ceux des plus puissantes nations de la terre ; rien qui accuse mieux et les blâmables excès de la politique que le cabinet de Saint-Pétersbourg a trop longtemps pratiquée, et le perpétuel danger du voisinage russe pour les peuples Scandinaves, et la nécessité d’une alliance qui autorise les cabinets de l’Occident à surveiller et à sauvegarder au besoin les intérêts de ces peuples.

Ce n’est pas que nous blâmions l’énergie d’un grand empire dont l’action, dépassant ses frontières, va trouver des peuples de race ou de culture inférieure, et s’efforce, par le commerce, par les institutions civiles ou la prédication religieuse, de les élever jusqu’à lui. Une telle action est toujours héroïque et par là bienfaisante ; mais nous redoutons l’intempérance usurpatrice et violente d’un grand peuple à qui la Providence a réservé une admirable mission, et qui, mal dirigé par d’ambitieux souverains, s’en détourne pour poursuivre à travers mille hostilités et mille répugnances même un but tout contraire. Au lieu d’être l’ennemie acharnée de l’Europe, la Russie doit être son invincible alliée dans l’œuvre commune de la réédification de l’Orient. N’est-elle pas, suivant les plans d’une sagesse supérieure, l’anneau précieux qui doit unir la vieille Europe et l’Asie ? Les mœurs patriarcales de ses tribus devenues chrétiennes ne les destinent-elles pas à attirer elles-mêmes peu à peu les tribus asiatiques, dont elles sont presque sœurs, vers le christianisme et la civilisation, plutôt qu’à venir parmi nous ajouter à nos discordes et à nos guerres la terreur d’un épouvantable fléau ? Par plus d’un signe non équivoque, le rôle qu’elle doit remplir a été marqué à la Russie. Ce n’est pas pour rien que sa domination s’étend sur tous ces peuples qui occupent l’immense Sibérie, et que par ce côté elle devient limitrophe de la Chine. Qu’elle étende vers ces dernières frontières de l’Orient les longues files de ses caravanes ; une civilisation meilleure marchera infailliblement avec elle, et l’Angleterre et la France seront là, si elle est fidèle à ce beau rôle, ses constantes alliées ; mais quand elle cherche à troubler, au profit de sa