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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/446

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seule ambition, l’ordre établi dans le continent européen, elle se nuit à elle-même, et devient à juste titre l’ennemie commune aux yeux des peuples civilisés.

Les habitans du Finnmark sont pauvres, il est vrai, et l’on peut être tenté de se demander s’il ne leur vaudrait pas mieux d’appartenir à la puissante Russie qu’au gouvernement de Suède et de Norvège, qui les protège mal ; mais par bonheur d’autres sentimens que celui des intérêts matériels viennent concourir à fixer les affections des hommes. Le pauvre pêcheur d’Hammerfest ou de Tromsoe sait bien qu’il y a autre part un plus chaud soleil, un climat plus doux et des terres plus fertiles ; il leur préfère cependant le sol natal, et les régions extrêmes de la Scandinavie ne sont pas celles qui fournissent à l’émigration le plus nombreux contingent. De même il sait fort bien que l’idée de patrie est complexe, et que la communauté des institutions sous un souverain qui lui doit protection en échange de sa fidélité la constitue au moins autant que la communauté du sol. Il distingue fort bien d’ailleurs le despotisme russe, antipathique à sa race, du gouvernement libre et constitutionnel auquel il tient à cœur de rester soumis[1].

Le voisinage de la Russie eût été béni du Finnmark, si elle s’était bornée à un simple échange de relations profitables aux deux pays. Le commerce du Finnmark était jadis affermé à une compagnie de négocians de Bergen. Les prières de toute la population firent abolir ce monopole en 1787 ; le commerce redevint libre, et presque aussitôt les Russes s’en emparèrent. C’était inévitable : à partir de Throndhiem, la culture de l’orge commence à diminuer d’une manière sensible. À cinquante lieues plus au nord, elle cesse complètement. La population dispersée le long des golfes et sur les côtes de l’Océan-Glacial n’a guère plus d’autres ressources que la chasse et surtout la pêche ; mais encore faut-il qu’elle en puisse échanger le butin contre les denrées de première nécessité. Le midi de la Norvège ne produit pas assez de blé pour en fournir à ses provinces septentrionales. Le Danemark et la Suède trouvent plus d’avantage à exporter le leur qu’à l’échanger contre du poisson. Restent donc les provinces septentrionales de la Russie, qui ont besoin de poissons et de fourrures, et qui apportent en échange les farines dont le Finnmark ne peut se passer. Chaque année, de juin à septembre, il arrive en Norvège deux cent cinquante bâtimens russes au moins qui stationnent à Hammerfest et Tromsoe, puis s’en vont dans les innombrables îles voisines de la côte, où ils échangent leurs sacs de

  1. M. Bayard Taylor, l’auteur d’un spirituel Voyage dans le Finnmark norvégien, a noté soigneusement avec quelle intelligence et quelle dignité les pauvres paroisses de l’intérieur du Finnmark s’acquittent de leurs devoirs politiques, des élections au storthing, etc.