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un amant, parce qu’elles espèrent tirer de là pour elles-mêmes quelque honteux profit. Si l’affaire tarde trop, on leur fait des reproches : « Tu ne feras donc rien pour les tiens ? » Ces jeunes filles ont des enfans à seize ans, même avant cet âge. À Lille, dans les maisons les plus honnêtes, on préfère pour nourrice une fille-mère : un mari, une famille sont un embarras pour les maîtres ! On n’en est pas moins austère et moins digne pour son propre compte. La pauvre fille, qui n’a jamais entendu parler du devoir, qui est entourée de mauvais exemples, que ses compagnes d’atelier raillent impitoyablement jusqu’à ce qu’elle ait trouvé un amant comme les autres, ne se défend pas, croit à peine mal faire. Sa faute est pour elle à l’atelier un sujet d’orgueil. Quand son amant est généreux et peut lui donner quelque bagatelle, elle étale le dimanche ses brillantes toilettes, elle excite l’envie et l’émulation de toutes les autres.

Les filles sont plus précoces que les garçons. En sortant de l’atelier le soir, quand les garçons et les filles se trouvent réunis dans les escaliers, dans les cours, dans les rues avoisinantes, ce sont quelquefois les filles qui provoquent leurs compagnons, qui les raillent de leur gaucherie, qui les poursuivent de propos obscènes. Ces leçons ne tardent pas malheureusement à devenir inutiles. Les chefs de quelques grandes maisons ont établi des issues différentes pour les deux sexes et des heures différentes de sortie. À Baccarat, la séparation est complète entre les tailleurs et les tailleuses. Il n’y a d’autre communication d’un atelier à l’autre qu’une porte dont les directeurs portent toujours la clé sur eux. Ces précautions sont négligées presque partout, soit comme inutiles, soit comme impuissantes. Dans un très grand nombre de manufactures, les femmes et les hommes travaillent ensemble, par exemple dans les tissages mécaniques. Un métier à tisser n’a guère plus de largeur que ce qu’on appelle le lé de l’étoffe, de sorte qu’ouvriers et ouvrières passent littéralement douze heures par jour côte à côte. Il en est de même dans les indiennages et en général dans tous les ateliers d’impression sur étoffe.

On cite des filles qui ne se connaissent pas de domicile, et qui, lorsqu’un amant les quitte, sont obligées de s’offrir sur-le-champ à un autre pour ne pas dormir à la belle étoile. Un enfant venu, il arrive très souvent que le père le laisse à leur charge. Elles ne s’en étonnent pas, elles n’en murmurent pas. Quand elles ne le portent pas aux enfans-trouvés, elles le donnent à des gardeuses pour le nourrir au petit pot, c’est-à-dire avec du lait de chèvre ou de vache, coutume très meurtrière. À Amiens et dans quelques autres villes, le bureau de bienfaisance donne 7 francs par mois pendant le temps