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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/586

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de l’allaitement aux filles-mères qui nourrissent elles-mêmes. Les femmes mariées n’ont pas droit à ce secours, et pourtant il y en a que leurs maris traitent comme si elles n’étaient que leurs maîtresses. Ils les quittent quand elles ont des enfans et vont vivre en célibataires dans une autre ville. S’ils reviennent un an, deux ans après, la femme les reçoit, et il n’en est pas autre chose.

La Société de Saint-François-Régis est une association entre catholiques pour faciliter le mariage de personnes qui vivent en concubinage ; elle se charge de tous les frais et de toutes les démarches ; en un mot, elle rend le mariage si facile que les époux n’ont qu’à donner leur consentement. Quand on interroge les présidens des diverses succursales de la société, ils vous disent qu’il y a presque toujours un ou plusieurs enfans naturels au moment où le mariage s’accomplit, qu’ils ne sont pas tous du même père, qu’au jour du mariage la mère vient à déclarer des enfans que le futur mari ne connaissait pas. Chose étrange, il arrive fréquemment que ces femmes, qui ont eu plusieurs amans avant le mariage, restent fidèles à leur mari. C’est du moins le témoignage que rendent les personnes compétentes presque partout, excepté à Rouen, où l’on cite de nombreux exemples de femmes et de maris qui se séparent pour aller faire un nouveau ménage chacun de son côté. Quel qu’ait été le libertinage des femmes pendant leur jeunesse, elles se conduisent beaucoup mieux que leurs maris. D’abord elles sont encore sobres dans presque toutes les villes manufacturières. Si les mœurs continuent à se dégrader et la misère à augmenter, il est malheureusement certain que les femmes se livreront, comme les hommes, à l’ivrognerie. En Angleterre, où la vie de fabrique est plus ancienne et a déjà produit toutes ses conséquences extrêmes, les débits de gin reçoivent plus de femmes que d’hommes. À Rouen et à Lille, l’ivrognerie commence à faire des ravages parmi les femmes. Le président d’une société de bienfaisance de Lille estime qu’il faut porter à vingt-cinq pour cent parmi les hommes, à douze pour cent parmi les femmes, le nombre des personnes adonnées à l’ivrognerie. Les femmes ont dans le quartier Saint-Sauveur des cabarets qui ne sont qu’à elles ; elles y forment des sociétés où l’on consomme beaucoup de café et encore plus d’eau-de-vie de genièvre. La nécessité d’abandonner de petits enfans au berceau en partant pour la fabrique a introduit parmi elles une coutume que l’on trouve aussi à Leeds et à Manchester ; elles font prendre à l’enfant de la thériaque, qu’elles appellent un dormant, et qui à en effet une vertu stupéfiante. C’est grâce à cette drogue que les gardeuses parviennent à tenir dans la même chambre un si grand nombre de marmots. Ces petites créatures n’échappent même pas le dimanche à ce traitement