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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/277

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caliers de bois de cette maison à jour. Tous les animaux de la création ont beuglé, patoisé, henni, juré ou braillé sous la fenêtre, et quand je croyais en être quitte, on est revenu pour chercher je ne sais quel instrument oublié, un baromètre ou un télégraphe ! Si j’avais eu une potence à mon service, je l’aurais envoyée à ce monsieur de Valvèdre, que Dieu bénisse ! Le connaissez-vous ?

— Pas encore. Et vous ?

— Je ne le connais que de réputation ; on parle beaucoup de lui à Genève, où je réside, et on parle de sa femme encore plus. La connaissez-vous, sa femme ? Non ? Ah ! mon cher, qu’elle est jolie ! Des yeux longs comme ça (il me montrait la lame de son couteau) et plus brillans que ça ! ajouta-t-il en montrant un magnifique saphir entouré de brillans qu’il portait à son petit doigt.

— Alors ce sont des yeux étincelans, car vous avez là une belle bague.

— La souhaitez-vous ? Je vous la cède pour ce qu’elle m’a coûté.

— Merci, je n’en saurais que faire.

— Ce serait pourtant un joli cadeau pour votre maîtresse, hein ?

— Ma maîtresse ? je n’en ai pas !

— Ah bah ! vraiment ? Vous avez tort.

— Je me corrigerai.

— Je n’en doute pas ; mais cette bague-là peut hâter l’heureux moment ? Voyons, la voulez-vous ? C’est une bagatelle de douze mille francs.

— Mais, encore une fois, je n’ai pas de fortune.

— Ah ! vous avez encore plus tort ; mais cela peut se corriger aussi. Voulez-vous faire des affaires ? Je peux vous lancer, moi.

— Vous êtes bijoutier ?

— Non, je suis riche.

— C’est un joli état ; mais j’en ai un autre.

— Il n’y a point de joli état, si vous êtes pauvre.

— Pardonnez-moi, je suis libre !

— Alors vous avez de l’aisance, car avec la misère il n’y a qu’esclavage. J’ai passé par là, moi qui vous parle, et j’ai manqué d’éducation ; mais je me suis un peu refait à mesure que j’ai surmonté le mauvais sort. Donc vous ne connaissez pas les Valvèdre ? C’est un singulier couple, à ce qu’on dit. Une femme ravissante, une vraie femme du monde sacrifiée à un original qui vit dans les glaciers ! Vous jugez… Ici le juif fit quelques plaisanteries d’assez mauvais goût, mais dont je ne me scandalisai point, les personnes dont il parlait ne m’étant pas directement connues. Il ajouta que du reste, avec un tel mari, Mme de Valvèdre était dans son droit, si elle avait eu les aventures que lui prêtait la chronique genevoise. J’appris