Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/278

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

par lui que cette dame paraissait de temps en temps à Genève, mais de moins en moins, parce que son mari lui avait acheté, vers le Lac-Majeur, une villa d’où il exigeait qu’elle ne sortît point sans sa permission. Vous comprenez bien, ajouta-t-il, qu’elle se ménage quelques échappées quand il n’est pas là… et il n’y est jamais ; mais il lui a donné pour surveillante une vieille sœur à lui, qui, sous prétexte de soigner les enfans, il y en a quatre ou cinq, fait son métier de geôlière en conscience.

— Je vois que vous plaignez beaucoup l’intéressante captive. Peut-être la connaissez-vous plus que vous ne voulez le dire à table d’hôte ?

— Non, parole d’honneur ! Je ne la connais que de vue, je ne lui ai jamais parlé, et pourtant ce n’est pas l’envie qui m’a manqué ; mais patience ! l’occasion viendra un jour ou l’autre, à moins que ce jeune homme qui voyage avec le mari… Je l’ai aperçu hier soir, M. Obernay, je crois, le fils d’un professeur…

— C’est mon ami.

— Je ne demande pas mieux ; mais je dis qu’il est beau garçon et qu’on n’est jamais trahi que par les siens. Un apprenti, ça console toujours la femme du patron, c’est dans l’ordre !

— Vous êtes un esprit fort, très sceptique.

— Pas fort du tout, mais méfiant en diable, sans quoi la vie ne serait pas tenable. On prendrait la vertu au sérieux, et ce serait triste, quand on n’est pas vertueux soi-même ! Est-ce que vous avez la prétention ?…

— Je n’en ai aucune.

— Eh bien ! restez ainsi, croyez-moi. Allez-y franchement, contentez vos passions et n’en abusez pas. Vous voyez, je vous donne de sages conseils, moi !

— Vous êtes bien bon.

— Oui, oui, vous vous moquez ; mais ça m’est égal. Vos sourires n’ôteront pas un sou de ma poche ni un cheveu de ma tête, tandis que votre déférence ne remettrait pas dans ma vie une seule des heures que j’ai perdues ou mal employées.

— Vous êtes philosophe !

— Excessivement, mais un peu trop tard. J’ai vécu beaucoup depuis que je puis me passer mes fantaisies, et j’en suis puni par la diminution du sens fantaisiste. Oui, vrai, je me blase déjà. J’ai des jours où je ne sais plus que faire pour m’amuser. Voulez-vous venir dehors fumer un cigare ? Nous regarderons ce fameux Mont-Rose ; on dit que c’est si joli ! Je l’ai regardé hier tout le long du voyage ; je l’ai trouvé pareil à toutes les montagnes un peu élevées de la chaîne des Alpes ; mais peut-être que vous me le ferez trouver diffé-