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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/353

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de l’y rattacher un jour. Telles sont, par exemple, l’union de l’âme et du corps, ou l’action de la volonté sur les muscles ; telles étaient autrefois la foudre et ses effets. Comprendre, c’est nommer une cause, montrer son action dans plusieurs cas, démontrer qu’elle agit toutes les fois qu’elle doit agir. Au temps où l’on ne connaissait pas la gravitation ni ses lois, la chute d’une pomme était pourtant un phénomène naturel, quoique inexplicable, tant il était permanent. Sans doute beaucoup d’erreurs ont été commises, et l’on a eu trop souvent recours à des interventions divines ; mais ordinairement on ne s’y est pas trompé. D’un autre côté, qu’un fauteuil, sans nulle cause physique, fût élevé de quelques centimètres au-dessus du parquet, comme M. Hume l’exécute journellement, ce ne pourrait être qu’en vertu d’un pouvoir surnaturel. La simplicité et l’inutilité du résultat n’y font rien ; mais que l’homme puisse se trouver dans cet état singulier où il voit et entend des mots et des personnes insaisissables pour les gens qui sont à côté de lui, où il pense tout autrement qu’à l’ordinaire et souvent plus vite et mieux, où il croit faire des gestes tandis qu’il est immobile, où il peut vivre d’une existence particulière tout en restant lui-même, en conservant son individualité, à tel point que plus tard il ne sache plus distinguer ce qu’il a fait de ce qu’il a rêvé, que ce phénomène si complexe soit singulier, inexplicable si l’on veut, c’est hors de doute ; mais il est le résultat d’une propriété éternelle et nécessaire des êtres vivans. On ne peut le qualifier de surnaturel ni de merveilleux, puisque chacun de nous peut l’observer au moins six heures sur vingt-quatre.

La difficulté est grande souvent de s’armer contre une certaine crédulité, un besoin d’imagination qui porte à voir et à aimer les prodiges ; plusieurs même confondent ce besoin avec l’idée religieuse. Il n’en est rien pourtant, et nulle croyance ne se rattache à la possibilité du merveilleux dans la vie ordinaire, en dehors des miracles. Les philosophes y doivent être aussi indifférens que les croyans, et les musulmans que les catholiques. La toute-puissance divine est plus compatible avec des lois générales qu’elle-même s’est imposées, que personne ne peut méconnaître, auxquelles n’a pu commander nulle de ces puissances intermédiaires que l’humanité a toujours recherchées et aimées. La philosophie, la religion et la science s’accordent à reconnaître que tout ici-bas est soumis à des lois qu’il faut bien appeler naturelles. Il n’est aucun homme qui, cent fois par jour, ne risque sa vie et ce qu’il a de plus cher, confiant dans l’éternité de ces lois. En bateau, en voiture, dans une maison, nous ne craignons jamais que, la pesanteur cessant tout à coup d’agir, le bateau s’enfonce, la voiture s’envole, la maison s’écroule. Nous ne nous inquiétons même que de savoir si notre sécurité n’est pas compromise par un oubli de ces lois. L’inertie et la solidité de