Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/354

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la matière, l’affinité chimique, sont des protecteurs qui ne nous ont jamais trompés.

À côté de cette confiance naturelle, de ce besoin d’ordre instinctif et raisonné, l’imagination, la poésie, quelques qualités même de l’esprit, font naitre une crainte, parfois une espérance de voir ces lois violées ou suspendues. Cela nous amuserait tout au moins. On ne peut se figurer le monde tout autre qu’il n’est, ni remplacer par des forces nouvelles les forces de la nature ; la faculté d’invention s’applique alors à les imaginer renversées où contrariées. De même que les poètes n’auraient su inventer un oiseau, un poisson, un quadrupède, s’ils n’eussent pas existé, ni même un sens nouveau, tandis qu’ils aiment à créer des êtres qui tiennent de l’oiseau, du quadrupède et du poisson, dont tous les sens sont aiguisés à l’excès, ou qui vivent au contraire privés d’un organe, sans yeux, sans tête ou sans mains, de même nous rêvons des êtres pour qui les lois naturelles n’existent pas. Les plus séduisantes fictions nous y ont aidés, et si nous n’en avons pas vu, nous nous plaisons du moins à croire que d’autres ont été plus heureux. La plupart des histoires du temps passé ont fait naître dans quelques esprits la certitude, dans la plupart le doute. Qu’en est-il en réalité ? Un seul de ces faits, raconté sérieusement, sans parti-pris et sans faiblesse, démontre-t-il clairement que dans cette multitude d’oracles, de transformations, de magiciens, de sorciers, de possédés et de procès, le surnaturel a joué un rôle incontestable ? Non, répondent sans hésiter M. Maury et M. Figuier. L’un s’est servi de sa vaste érudition pour résumer ce qu’ont pensé, vu, écrit les anciens sur ce sujet difficile, et a tenté de le rapporter aux découvertes de la science moderne. L’autre a raconté avec détails toutes les épidémies qui, au moyen âge, au XVIIIe siècle et de nos jours, ont, avec des succès divers et pour des causes variées, entretenu la croyance au surnaturel et le goût des prodiges. Ses récits, depuis les procès en sorcellerie de Gaufridi et de Grandier jusqu’à l’invasion des tables tournantes, depuis la baguette divinatoire jusqu’aux opérations de l’abbé Paramelle, forment une lecture instructive. La conclusion des deux ouvrages est que l’illusion est ancienne et la vérité nouvelle. Ces histoires du merveilleux démontrent qu’il n’y a pas de merveilleux.


I

On a beaucoup discuté sur l’origine de la magie dans l’antiquité. On s’en est pris aux dieux, aux prêtres et aux hommes. En vérité, ces discussions sont inutiles, car, pour l’esprit humain, le merveilleux est l’idée primitive et simple ; ce qui est compliqué, c’est l’origine du naturel. Les phénomènes du monde sont si divers et peuvent paraître