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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/914

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au message dont elle était chargée. Au fond, Minna était ravie que sa maîtresse eût un schatz (un chéri) ; mais comme, en des temps plus heureux, Minna se souvenait d’en avoir eu plusieurs, elle savait à merveille que les opérations du siège marchaient cette fois un peu trop grand train.

Lorsque Mary, la tête sur les genoux de sa mère, eut achevé la prière du soir, et au moment où elle posait sur l’oreiller cette tête charmante : — Ah ! maman, dit-elle, que je suis donc heureuse !… Il est si beau, si bon, si raisonnable surtout !… Je voudrais, savez-vous, dormir toutes les nuits la tête sur son épaule.

— Dispensez-vous de le lui dire avant que vous ne soyez mariés… D’ailleurs, ma chère Mary, je ne suis pas encore bien sûre de pouvoir vous donner à lui… En tout cas, il faut attendre… Songez donc qu’il est bien jeune.

— À la bonne heure ; mais, comme toujours, souffrez que je vous dise tout ce qui me passe par la tête… Eh bien ! je ne demande qu’à l’avoir près de moi… Être ce qu’on appelle mariés, habiter une maison à nous, ce n’est point là ce dont je me soucie… Pour cela, j’attendrai tant que vous voudrez… Mais il faut que je l’aie avec moi, toujours, comme je vous ai : lui et vous, toujours avec moi. Tenez, maman, depuis que je l’aime, lui, je crois que je vous chéris encore davantage…

Là-dessus, la vieille demoiselle entreprit une dissertation philosophique, la meilleure dont elle pût s’aviser, sur la tendre passion d’amour et les devoirs imposés aux jeunes personnes qui en sont atteintes ; mais, à dire vrai, la pauvre fille n’y entendait pas grand’chose, et dès lors elle ne procura aucun soulagement à l’aimable « malade. » Elles étaient innocentes presque à l’égal l’une de l’autre, et en somme la plus âgée des deux était de beaucoup la plus agitée, la plus déconcertée par ce nouveau développement de leur double existence.


IV

Beechton, je vous l’ai dit, est une fort jolie résidence au milieu d’un assez vilain pays. Il y a bien six cents acres de domaines, y compris le parc, qui est boisé à ravir, — trop boisé, disent certains épilogueurs, — et où les hêtres surabondent. Autour de la petite maison est un vrai jardin anglais, aux cultures variées, aux riches parfums. C’est à Beechton que nous conduit le railway, et que nous trouverons très probablement, au débarquer, une dame d’une trentaine d’années, petite, mince et comme réduite par une combustion intérieure dont personne que moi n’a le secret. Elle aura sur la tête un vieux chapeau de paille qui protège mal contre les taches de