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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/649

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tendait à se désintéresser du son du monde pour ne s’occuper que du sien. Afin de demeurer plus assurée de contenir des ennemis vaincus sans être domptés, elle inclinait à conserver l’entière disponibilité de ses forces à l’intérieur, et ne se posait pas même, dans le désarroi de ses pensées, la question de savoir si une guerre entreprise avec les chances d’un succès alors presque certain n’aurait pas été un dérivatif puissant pour les passions qui menaçaient sa propre sécurité. Le gouvernement militaire sorti de la bataille de juin, et dont le chef était moins soucieux de rendre la nation glorieuse que de la rendre républicaine, ne se sentit pas porté, malgré le concours qu’il aurait rencontré dans l’assemblée, à courir au dehors des chances dont tendait à le détourner la seule pensée qui l’occupât sérieusement, celle de constituer le pouvoir nouveau sur des bases durables. Sous la préoccupation dominante de concilier à la forme républicaine l’adhésion des intérêts alarmés en conservant la paix, le général Cavaignac opposa des réponses évasives et dilatoires aux pressantes supplications de l’Italie, bien plus occupé d’écarter pour la république les grandes difficultés que de se ménager de grandes occasions pour lui-même. Résolu à tout sacrifier à la fondation du gouvernement auquel il rendait en fidélité la faveur que lui avait donnée son nom, et, concentrant sur ce point-là toute l’ardeur d’un esprit plus honnête qu’étendu, il ne songea qu’à se dégager aux moindres frais possibles des solennelles promesses ratifiées par lui-même. Les plus inexpérimentés des hommes d’état en matière de droit public, les ministres les plus étrangers aux habitudes diplomatiques, se laissèrent donc enlacer, afin de gagner du temps, dans le dédale d’une conférence dont les bases n’avaient pas même été déterminées, et donnèrent pour seule consolation à Venise, succombant en vue d’une flotte française immobile, le leurre d’une réunion diplomatique formée à Bruxelles, afin de délibérer avec l’Autriche victorieuse sur le sort de l’Italie !

En consentant à l’ouverture d’un pareil congrès, le général Cavaignac signa l’abdication militaire de la France. Il le fit afin de ménager au gouvernement républicain, de la part des opinions conservatrices, une tolérance qui ne devait pas le sauver, car là n’était pas pour ce gouvernement le plus grand de ses périls; il s’y résolut aussi peut-être afin de se ménager pour lui-même, au sein de la bourgeoisie, des chances présidentielles dans lesquelles il subordonnait pleinement d’ailleurs son intérêt personnel à celui de la république. Qu’en hésitant à porter le coup mortel à l’empire autrichien à l’heure même où cet empire était assiégé jusque dans Vienne par les forces réunies de la révolution et de la Hongrie, le général Cavaignac ait très utilement servi l’ordre européen, c’est ce que je voudrais nier moins que personne; mais je garde la conviction qu’en