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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/650

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agissant ainsi, il rendit à la république française un détestable service, et qu’à l’heure décisive de sa destinée il perdit lui-même dans les populations les seules chances électorales qu’il aurait pu s’y préparer. D’éclatans succès militaires étaient, dans les derniers mois de 1848, la seule digue à opposer à la réaction anti-républicaine, dont témoignaient et le discrédit symptomatique dans lequel étaient tombés jusqu’aux plus illustres fondateurs du gouvernement de février, et la faveur contagieuse que rencontrait déjà au sein des masses l’idée obscure qui allait s’épanouir au 10 décembre. Le général Cavaignac avait le cœur plus haut que l’intelligence, et ses résolutions étaient presque toujours paralysées par ses scrupules. Il respectait tellement la république qu’il la rendit impuissante afin de la laisser irréprochable. En équilibre entre ses souvenirs de famille, qui le rattachaient à des temps sinistres, et ses opinions personnelles, qui en faisaient l’une des plus nobles personnifications d’une ère régulière et pacifique, il perdait du côté des hommes d’ordre, par certaines paroles, tout le bénéfice de ses bonnes intentions, et près des révolutionnaires, par ses actes, tout le profit de ses ménagemens. Instrument précieux pour conduire un gouvernement constitué, il était incapable de conquérir la popularité qui le fonde, et ses qualités ne lui nuisaient guère moins que ses défauts. Le général Cavaignac fut à la fois l’honneur et la difficulté de la seconde république, car il l’énerva sans la sauver, et son nom conservera plus d’éclat que n’en ont eu ses actes.

Dans l’oubli profond où l’avait rejeté si soudainement l’opinion, qui chez le vainqueur du drapeau rouge ne voyait plus que l’auteur des Girondins, M. de Lamartine assistait à la ruine de ses dernières espérances. Rien ne subsistait plus de la circulaire du 5 mars 188. Le ministre des affaires étrangères du 24 février, découragé de tout autre soin que de celui de dégager sa responsabilité devant l’histoire, ne disputait ni le pouvoir ni la faveur publique à l’homme qui l’avait si facilement supplanté, et se bornait à déclarer sa politique séparée de celle de son successeur par toute l’épaisseur des Alpes. Sa parole, naguère souveraine, demeurait sans écho dans l’assemblée comme dans la nation, et les sauvages protestations de la montagne s’élevaient seules contre la politique timide, dont la France profita sans l’estimer. Comment le pays aurait-il oublié que les signataires des pacifiques dépêches émanées du ministère présidé par le général Cavaignac étaient les écrivains mêmes qui, afin de flétrir la monarchie et d’en insulter les plus illustres serviteurs, avaient si longtemps trempé leur plume dans le fiel? Quel miracle n’aurait-il pas fallu pour que la république ne subît pas le contre-coup d’aussi cyniques contradictions ! Les concessions à la paix dépassèrent tellement sous ce régime celles qu’avait pu faire le régime précédent,