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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/603

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tard, les fac-similé, publiés par MM. Mansfeld et Förster, des dessins de Martin Schœn, d’Albert Durer et de plusieurs autres vieux maîtres venaient dignement rappeler les titres de l’école primitive, comme les lithographies d’après les compositions de M. Overbeck ou de ses disciples achevaient de populariser quelques talens éminens de l’école moderne. C’est dans ce genre de travaux surtout, c’est lorsque l’interprétation du modèle n’exige ni un instinct très vif de la couleur, ni un sentiment de l’harmonie en dehors de la pure cadence des lignes, que les dessinateurs allemands prouvent leurs aptitudes et qu’ils accusent nettement leur manière. Ils semblent dépaysés partout ailleurs, ou plutôt la lithographie n’existe pas pour eux en tant que procédé indépendant d’un type fixe et de formes déjà définies.

La lithographie est donc, à vrai dire, un art français, puisque c’est dans notre pays qu’elle a eu les plus brillantes origines, l’activité la plus féconde, les succès les plus variés. En France seulement, elle a été mieux qu’un moyen de reproduction pour des exemplaires fournis par les autres arts ou par la science, mieux aussi qu’un procédé au service des caprices chétifs et des vulgaires fantaisies. Grâce aux talens d’élite qui ont profité de ses ressources sans en forcer l’emploi ni la portée, elle a acquis de bonne heure et elle a gardé longtemps une importance d’autant plus sûre qu’elle se renfermait plus strictement dans son domaine. Tout cela désormais n’intéresserait-il que le passé? Ne saurions-nous, autrement que par le souvenir, ressaisir quelque chose des privilèges que nous avons possédés, des progrès qui se sont accomplis à une époque si près de nous et sur notre sol? Il semble impossible que notre école consente à se démentir elle-même et à s’abstenir de gaîté de cœur d’efforts conformes au fond à ses facultés naturelles, à son génie. Nous espérons qu’elle ne répudiera pas pour toujours un héritage qui lui appartient, des traditions qui l’obligent, des exemples qu’elle seule serait en mesure de renouveler : elle sait trop bien et par une trop longue expérience qu’à côté de la gloire qui récompense les hautes entreprises, une part d’honneur est réservée aussi à des travaux d’un caractère moins grave, à des œuvres n’ayant pour objet que l’amusement de l’imagination. Ce n’est pas sans doute dans la patrie de Callot, de Chardin, de Moreau, de cent autres ingénieux artistes dont les maîtres-lithographes de notre siècle ont fait revivre à leur manière le goût délicat et le fin bon sens, ce n’est pas dans le pays de l’art spirituel par excellence que l’on pourrait craindre sur ce point une disette de quelque durée, ou qu’il serait nécessaire de plaider une cause qui, de tout temps, a eu parmi nous tant de juges intéressés et tant de charmans talens pour défenseurs.


HENRI DELABORDE.