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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/81

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des mangeurs de chair : il démasque dans la curie les intrigues de Physcon, la politique malhonnête des sénateurs, qui ne lui imposaient pas plus que les rois. Caton, c’est le paysan du Danube né aux bords du Tibre.

Agé de plus de quatre-vingts ans, il accusa devant le peuple, sans pouvoir le faire condamner, Sulpicius Galba, qui avait massacré traîtreusement un corps de Lusitaniens après les avoir, par de trompeuses promesses, décidé à déposer les armes. Caton cependant n’était pas tendre aux ennemis de Rome, lui qui, à la fin de chacun de ses discours, quel qu’en fût le sujet, disait toujours : « Je pense qu’il faut détruire Carthage; » mais il eut horreur de la perfidie jusqu’à son dernier souffle, qu’il rendit bientôt après, âgé de quatre-vingt-cinq ans : à quatre-vingts ans, il avait eu un fils.

Tel fut cet homme, qui semblait taillé dans le bois dur et rugueux d’un vieux chêne de la Sabine; mais cette énergie était dirigée tout entière vers la résurrection d’un état de choses qui n’était plus et ne pouvait renaître.

D’autres comprenaient qu’il fallait introduire des élémens nouveaux dans l’ordre ancien pour lui donner une nouvelle vie; ceux-là, c’étaient les Gracques. La tentative politique des Gracques est un événement capital dans l’histoire de la république romaine. La lutte dans laquelle ils périrent pouvait la sauver, s’ils avaient triomphé, et la perdit, parce qu’ils succombèrent. Il y a peu de noms plus purs dans cette histoire que le nom souvent calomnié des Gracques.

Les Gracchi étaient une famille plébéienne faisant partie de la gens Sempronia, qui comptait aussi dans son sein une branche patricienne, les Sempronii Atratini, comme faisaient partie de la gens patricienne des Claudii les Marcelli, plébéiens.

Gracchus est un nom æque; c’était celui d’un chef de cette nation énergique et si difficile à dompter, dont on aperçoit les âpres montagnes du côté de Subiaco, à la dernière extrémité de l’horizon romain; ce chef qui, dédaignant de répondre à un envoyé romain, lui dit : « Parle à ce chêne, » s’appelait Gracchus. La famille des Gracques était plébéienne, mais très considérable, ce que prouve sa double alliance avec la superbe famille des Scipions. Je suppose que c’était une grande race du pays des Æques[1], qui, après l’assujétissement de ce pays, vint s’établir à Rome, où elle ne paraît pas avant le VIe siècle. Peut-être est-ce à la suite du triomphe obtenu au milieu du Ve, à l’occasion d’une victoire définitive sur les

  1. Les Æques faisaient partie de cette famille de peuples à laquelle appartenaient les Sabius et qu’on nomme Sabelliques. Le prénom Tiberius est celui de la grande majorité des Gracques. Il se rencontre aussi dans la gens Claudia, certainement sabine, et à laquelle appartenaient Tiberius Claudius Nero, l’odieux Tibère.