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Æques par un Sempronius que les Gracchi, venus à Rome, furent incorporés dans la gens Sempronia[1].

A Rome, plusieurs des grandes familles offrent un type héréditaire que la plupart de ses membres reproduisent : chez les Claudius la fermeté et l’orgueil, chez les Valerius la modération et le goût de la faveur plébéienne; chez les Gracques domine un remarquable instinct de générosité et de liberté. Un aïeul des deux Gracques paraît avoir été un des premiers qui ait enrégimenté des esclaves de bonne volonté, volones, en leur promettant la liberté après la victoire : grand exemple de ce que nous nommerions libéralisme. Ce fait est assez curieux pour être raconté avec quelque détail, d’autant plus qu’il fut l’occasion pour ce Gracchus d’orner d’un tableau historique un monument de Rome, et quel monument! le temple de la Liberté, élevé par son père sur le mont Aventin, le mont populaire, en face du temple de Jupiter, que devait reconstruire Auguste. Ce coin de l’Aventin contient donc pour nous le souvenir de l’apothéose et de l’étouffement de la liberté romaine.

Pendant la guerre contre Annibal, ce Sempronius Gracchus commandait près de Bénévent un corps d’armée dans lequel se trouvaient un grand nombre de volones. Ces esclaves, qui servaient depuis deux ans, attendaient avec impatience leur affranchissement. La veille d’une bataille, Sempronius leur déclara que celui qui le lendemain apporterait la tête d’un ennemi serait libre. Animés par l’espoir de la liberté, les volons se battirent très bien : seulement on s’aperçut que le temps qu’ils mettaient à couper les têtes des ennemis et le soin qu’ils apportaient à conserver ce trophée libérateur nuisaient au succès de la bataille; Sempronius leur fit dire de jeter les têtes, de ne songer qu’à attaquer, et que le don de la liberté était assuré à tous ceux qui se conduiraient bravement. Après la victoire, il les déclara tous libres, même ceux qui avaient donné mollement pendant le combat. Cette armée d’affranchis triomphans revint à Bénévent dans un délire de joie qui ressemblait à l’ivresse. Les habitans de la ville sortirent à leur rencontre, les embrassèrent, les fêtèrent, leur offrirent avec empressement l’hospitalité; des tables étaient placées en plein air devant les maisons. Les nouveaux hommes libres, invités par les Bénéventins, s’y assirent et festinèrent joyeusement avec leurs hôtes, portant sur la tête le bonnet, signe d’affranchissement, ou debout ils se servaient les uns les autres et mangeaient en même temps. Sempronius fit faire et plaça dans le temple de la Liberté, érigé par son père sur le mont Aventin, un ta-

  1. Le triomphe de P. Sempronius Sophus sur les Æques est de 450. Le premier Gracchus dont parle l’histoire romaine fut consul en 516.