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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/887

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démocratiques n’ont été représentées par une société aussi considérable, aussi puissante que celle des États-Unis, dans toute leur intégrité, sans aucun alliage avec les traditions d’un autre âge. Sur le sol vierge d’un nouveau monde, l’homme a tenté de recommencer l’histoire.

Aussi la dissolution de la grande république, fondée sur les principes démocratiques, entraînerait-elle un grand trouble moral dans le monde entier, elle pourrait même sembler un coup fatal porté à la cause du progrès. D’une autre part, on peut nier que la crise actuelle soit le résultat naturel de l’application des idées qui ont triomphé à la fin du siècle dernier sur le continent américain. On peut affirmer hautement que la guerre n’eût jamais éclaté, si le privilège, sous sa forme la plus injuste et la plus cruelle, ne s’était introduit subrepticement dans les lois et dans les mœurs de l’Union : dans les lois par la protection constitutionnelle accordée à l’esclavage, dans les mœurs par les préjugés de race, qui opposent un si grand obstacle à l’émancipation des noirs. On a vu le principe aristocratique fonder et conserver de puissans empires, en assurer la grandeur par la fidélité à de nobles traditions, par la protection éclairée des intérêts populaires; l’histoire n’a jamais montré une démocratie et une aristocratie vivant côte à côte, s’associant aux mêmes entreprises, animées des mêmes ambitions, dégagées de haine et de jalousie. Et que penser d’un ordre social où du sein de l’égalité la plus achevée s’était élevé un privilège qui n’était fondé ni sur la vertu, ni sur le savoir, ni sur des services rendus à la patrie, ni même sur la richesse, mais seulement sur une espèce particulière de propriété, sur la propriété humaine? Cette fatale antinomie de la servitude et de la liberté est la clé de toute l’histoire politique et sociale des états. En la laissant subsister dans la constitution, les fondateurs de l’Union compromirent tout leur ouvrage. Les conséquences de cette coupable erreur se développèrent avec une effrayante rapidité. Les institutions publiques ont été faussées, l’esclavage n’a cessé d’agir comme un dissolvant. Quand un mal a une source profonde, il éclate en symptômes nombreux, qui semblent souvent indépendans les uns des autres, et dont on ne saisit le lien qu’en remontant à la cause première. L’histoire politique des États-Unis depuis la défaite du parti fédéraliste jusqu’au triomphe récent du parti républicain n’est autre chose que l’histoire de l’alliance des hommes d’état du sud et du parti démocratique du nord. Et que se proposaient les hommes d’état du sud, dont pendant cinquante ans les démocrates du nord sont restés les instrumens complaisans et serviles? Le maintien et l’extension indéfinie de l’esclavage.

La constitution investit le président d’un pouvoir très étendu et