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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/927

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sur la Vistule, autour de Varsovie comme dans la Samogitie et dans les forêts lithuaniennes, une nation tout entière est debout. Des armes, elle n'en a guère; elle n'a que la faulx du paysan, les armes qu'elle prend à l'ennemi, ou celles qu'elle peut arracher par quelque fissure d'une frontière étroitement gardée. Seule, sans assistance et sans appui, ne recevant d'autres secours que ce courant électrique de sympathie qui lui arrive de l'Occident à travers l'espace, cernée de toutes parts, n'ayant d'issue ni par la terre ni par la mer, elle se débat comme dans un cirque sanglant avec une énergie prête à tout braver et une confiance prête à tout espérer. Ses chefs les plus populaires tombent dans le feu ou vont illustrer le gibet, d'autres se lèvent à leur place; ses bandes sont vaincues ou dispersées, d'autres bandes surgissent un peu plus loin. Là où elle n'est pas en insurrection matérielle, elle est en insurrection morale. Un gouvernement ostensible, elle ne l'a pas, elle ne pouvait l'avoir : elle s'en est fait un anonyme, inconnu, insaisissable et religieusement obéi, étendant partout son action, ayant son année, sa police, son administration, sa diplomatie, joignant la dextérité à l'audace, et animant de son souffle invisible toute cette résistance héroïque. Cette insurrection, on lui donnait quelques semaines de vie, peut-être quelques jours : elle a duré huit mois et elle dure encore, elle n'a fait que grandir. Depuis huit mois aussi, la Russie s'acharne contre cette apparition importune qu'elle ne peut parvenir à étreindre. Elle accumule les forces, elle campe dans les villes, elle sillonne les campagnes de ses colonnes volantes, et à quoi est-elle arrivée? A étonner le monde par le contraste bizarre de la pompe de ses bulletins et de la stérilité de ses victoires. De succès en succès, la Russie en est venue à être complètement tenue en échec par cette poignée d'outlaws marchant sous un drapeau mutilé et toujours flottant. Si encore elle faisait la guerre uniquement avec les armes permises du soldat! Malheureusement cela n'a plus suffi : ce n'est pas la guerre qu'elle fait, c'est la dévastation qu'elle laisse après elle, c'est le gibet qu'elle dresse pour des patriotes vaincus comme pour des criminels vulgaires, c'est la coupe réglée des déportations en Sibérie qu'elle renouvelle, c'est la propriété qu'elle dissout; en un mot, ce n'est plus seulement un ennemi armé qu'elle combat, c'est une société qu'elle veut détruire par un système avoué d'extermination et de dépossession, et dans cette œuvre elle porte visiblement l'impatience irritée et fiévreuse de la force qui se sent impuissante, que la défaite aveugle et exaspère, qui frappe, frappe encore pour en finir.

Depuis huit mois enfin, la diplomatie s'ingénie à faire accepter des médiations et à combiner des solutions. De grandes puissances,