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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/928

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telles que la France, l'Angleterre et l'Autriche, s'interrogent entre elles: sur ce qu'elles peuvent ou doivent faire. Elles s'entendent, se concertent, subtilisent sur la façon de présenter une note à la Russie, s'engagent dans de périlleux dialogues et nouent des actions décousues sans savoir auguste où elles vont. Ici, il faut en convenir, la Russie retrouve ses avantages : elle n'est point heureuse sur le terrain du combat, elle prend sa revanche sur le terrain diplomatique. Elle triomphe des impossibilités qu'elle suppose, des contradictions de politiques, des divergences de situations et d'intérêts qu'elle entrevoit, mêlant la souplesse à l'opiniâtreté, la dextérité à la hauteur, amusant l'Europe et la défiant.

Et après ces huit mois d'étreintes sanglantes et de paroles inutiles, où en est la guerre; où en est la diplomatie en Pologne?... Ce qui est certain, c'est que l'insurrection polonaise est sortie désormais du domaine des échauffourées populaires dont la répression matérielle a raison : elle existe. Chaque élan d'héroïsme ou chaque cri de détresse retentit au cœur de l'Occident de toute la force d'un droit violé; chaque coup qui s'appesantit sur cette nationalité indomptable est un déboire, un défi pour ceux qui se sont faits ses témoins. Enfin on en est venu à ce point où il n'y a de choix qu'entre une victoire nécessaire qui se lie à tout un ordre nouveau de politique et une défaite qui aurait un contre-coup profond en Europe par la situation confuse et humiliée qu'elle créerait, par les luttes nouvelles dont elle nous laisserait la redoutable perspective.

Elle existe donc, cette virile insurrection, qui est devenue dès sa naissance et qui reste un des plus éclatans événemens de ce siècle. Elle a déjà son histoire toute palpitante, presque légendaire, — tant les violences, comme l'héroïsme, comme les souffrances, y prennent des proportions étranges, — et d'où elle se dégage avec ses caractères, avec ce qu'elle a de local, de national, et ce qu'elle a d'européen. D'un côté, c’est la lutte directe, passionnée, implacable entre la Pologne et la Russie ; d'un autre côté, c'est l'antagonisme progressivement aggravé entre la Russie et l'Europe. Voilà le drame noué sous le coup du recrutement dans une nuit d'hiver, et qui depuis cette première heure n'a fait que se resserrer, se compliquer, se précipiter en mettant en présence la civilisation elle-même, dont la Pologne est le soldat avancé, dont la diplomatie européenne n'est jusqu'ici que l'arrière-garde, et cette pensée d'extermination dont la Russie est la triste et malheureuse exécutrice.

Je ne voudrais que rappeler comment s'est formée cette tragique et complexe situation, comment a éclaté l'orage ! Qu'on n'oublie pas ce qu'était cette Pologne, remuée par deux années de luttes morales, au moment où venait s'abattre sur elle une proscription préméditée