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mais nous, nous avons perdu des frais de mise en scène ruineux, et nous avons fait perdre à nos comédiens un temps précieux que nous payons fort cher. Nous partageons avec les jeunes auteurs les revers qui les frappent; eux partageront-ils avec nous les conséquences de ces échecs répétés, et seront-ils solidaires de la faillite qui est au bout de toute gestion dramatique, capricieuse ou imprudente? On nous par le toujours des intérêts de la littérature, comme si le théâtre était encore au temps où l’on jouait des chefs-d’œuvre entre quatre murs nus, avec un éclairage de cinq ou six chandelles, devant un parterre debout et des spectateurs d’élite assis sur des bancs de bois, et l’on ne s’aperçoit pas que, étant données les conditions de la société moderne, un théâtre est nécessairement une entreprise hybride, à moitié littéraire, à moitié industrielle. Que l’on nous ramène donc à ce théâtre primitif, si l’on veut que les reproches qu’on nous adresse aient quelque valeur. » Voilà les raisons que donnent de leur conduite les directeurs de théâtre. Elles sont excellentes, il en faut convenir; mais comme les raisons que donnent leurs critiques ne sont pas moins bonnes, il est clair que la liberté seule peut dénouer cette situation et terminer cette querelle.

Pour nous, que les intérêts de la littérature doivent nécessairement toucher plus que tous les autres, il ressort du débat ainsi engagé cette conclusion, c’est qu’il devient de plus en plus difficile à un jeune auteur dramatique de faire au théâtre l’apprentissage de son art. Conscrit novice, il faut que dès ses débuts il montre tout l’aplomb et toute l’expérience pratique des plus vieux vétérans des campagnes dramatiques ; sinon, on le priera d’aller apprendre son métier avant de se faire jouer. Cette exigence semble juste; au fond, elle est parfaitement déraisonnable. L’apprentissage de tout art doit se faire dans l’atelier même où s’exerce cet art; l’apprentissage de l’auteur dramatique ne peut donc se faire qu’au théâtre. Jadis on était plus indulgent, et partant plus équitable. Une ou même plusieurs chutes ne compromettaient pas l’avenir dramatique d’un auteur; on lui donnait le temps de trouver sa voie, de se corriger de ses erreurs, d’apercevoir ses maladresses. Le génie se trompe longtemps avant de trouver sa vraie direction et fait payer d’avance aux lecteurs et aux spectateurs ses chefs-d*œuvres futurs par des œuvres médiocres, gauches ou puériles; il faut que le public ait assez de patience et de sagesse pour consentir à acheter ses plaisirs au prix de quelque ennui. L’homme le plus sûr de son génie qui ait jamais écrit pour le théâtre, c’est-à-dire Molière, a tâtonné plusieurs années avant d’être en pleine possession de lui-même, et lorsqu’il eut enfin trouvé sa vraie voie dans les Précieuses ridicules, il fit encore un écart et commit cette maladresse qui a pour nom Don