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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/712

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la liberté a donc dans le présent cet immense avantage, qu’elle seule peut faire cesser un état de choses qui ne peut pas durer plus longtemps sans danger pour l’art dramatique, pour l’intelligence du public et les intérêts des nouvelles générations. J’insisterai principalement sur ce dernier point. Les jeunes écrivains se plaignent en effet, et disent que jamais le théâtre n’a été moins hospitalier qu’aujourd’hui aux nouveau-venus, et qu’on joue avec eux ce jeu déloyal que les Anglais appellent un fair play. Il peut y avoir quelque exagération dans leurs plaintes, mais nous ne saurions dire qu’elles soient sans fondement. Que voyons-nous au théâtre depuis plusieurs années? Partout des reprises, des féeries, des pièces à grand spectacle ; on ne joue presque plus de pièces nouvelles; il semble qu’il n’y ait plus de place pour elles. De temps à autre, un pauvre petit acte parvient à se glisser timidement sur l’affiche, entre deux pièces consacrées par un succès de plusieurs années; il apparaît sur la scène deux ou trois fois et s’évanouit mystérieusement. La virginité de l’inédit n’a plus, paraît-il, aucun attrait pour le public. La vogue est aux pièces qui ont beaucoup fait parler d’elles et dont le nom est connu depuis longtemps. Les directeurs de théâtre sont sans pitié pour les gaucheries, les maladresses, les naïvetés des débutans. Ils peuvent, il est vrai, dire pour leur défense que les essais qu’ils ont tentés ne sont pas précisément encourageans, que pour un succès obtenu par un jeune écrivain on compte dix échecs; mais les conditions qu’on fait aux débutans sont vraiment par trop dures et par trop déraisonnables. Dans l’état actuel du théâtre, un jeune auteur dramatique, un débutant novice et inexpérimenté n’a plus le droit d’être sifflé et de subir un échec. Un premier insuccès équivaut pour lui à un arrêt de mort. C’est par grande et exceptionnelle faveur qu’on consent à le jouer; si donc, dès sa première campagne, il ne répond pas à cette faveur par un triomphe, il perd ses meilleures chances pour l’avenir : le souvenir de cette bataille perdue pèsera sur sa réputation pendant des années et lui fermera l’accès de la scène. Les directeurs de théâtre justifient cette exigence par d’excellentes raisons commerciales tout à fait irréfutables au point de vue des affaires et de l’industrie dramatique, mais qui n’ont pas la même valeur dans la question d’art et de littérature. « Les jeunes auteurs dramatiques, peuvent-ils dire, subissent la même loi que nous subissons : nous perdons plus qu’eux, à tout prendre, aux échecs qui les atteignent. Un insuccès ne compromet que leur réputation, capital vague, insaisissable, dont ils ne trouveraient l’escompte à aucune banque; mais il peut ruiner une entreprise dont les bénéfices sont appréciables en beaux écus monnayés. Une pièce tombe : qu’a perdu l’auteur, nous le demandons? Rien, ou tout au plus de menus frais de copiste dont il sera quitte pour quelques deniers;