Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inconnue en France au XVIIIe siècle. Il y avait, surtout dans la noblesse de robe, dans la noblesse de province, dans la bourgeoisie janséniste, un grand nombre de familles qui menaient une vie austère et retirée ; mais à la cour et dans les salons, là où les exemples étaient apparens et contagieux, le relâchement était général. Aujourd’hui encore, je le sais, beaucoup d’honnêtes gens attachent à ce fait très peu d’importance, et sont assez disposés à regarder les aimables écarts de la vie privée comme de petits péchés qui concernent peut-être le ciel, mais qui n’intéressent en rien le sort des sociétés. Un mauvais mari peut être, j’en conviens, un fort bon citoyen, un excellent père de famille peut, j’en conviens encore, faire un très plat fonctionnaire ; mais il ne faudrait pas se hâter d’en conclure qu’à prendre les faits dans leur ensemble, il n’y a point de lien entre la moralité dans la vie publique et la moralité dans la vie privée. La vie privée, c’est la vie de tous les jours. C’est dans la vie privée que les hommes ont le plus souvent l’occasion de remplir ou de négliger leurs devoirs ; c’est dans la vie privée qu’ils prennent le plus l’habitude d’avoir des principes ou d’en manquer. L’habitude prise, ils la portent généralement dans la vie publique. Sachons le voir et osons le dire : le défaut de principes a été l’une des plaies de notre pays au moment de la révolution. Le défaut de principes, le défaut d’expérience, le défaut de respect pour l’autorité royale et pour la foi chrétienne, c’est par là qu’ont le plus péché les révolutionnaires français. Leur excuse, c’est l’éducation qu’ils avaient reçue, c’est la vie qu’ils avaient menée, ce sont les sentimens anti-religieux et anti-monarchiques que leur avait transmis la génération qui sous Louis XV s’était détachée de l’église et du roi. Lorsque Louis XV fut atteint en 1757 par le couteau de Damiens, « on remarqua, dit d’Argenson, que les bons bourgeois témoignèrent beaucoup de douleur de cet attentat, mais que le peuple resta muet. » Un an après, il fallut faire un sanglant exemple sur un bourgeois de Paris convaincu d’avoir tenu des propos séditieux et d’avoir écrit des placards attentatoires à l’autorité du souverain. L’exemple fut inutile : le lendemain de l’exécution, des placards plus injurieux pour le roi se trouvèrent affichés dans les rues. Ils répondaient au sentiment public, rien ne put les empêcher de se multiplier. Ni les précautions de la police ni les rigueurs de la justice ne purent remplacer le prestige de la personne royale, que Louis XV avait détruit.


IV

Le 25 octobre 1760, George II mourut à Londres, et son petit-fils George III monta sur le trône aux acclamations de toute l’Angleterre.