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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/378

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public pour avoir méconnu le droit de la conscience individuelle.

Voilà quelle préparation soutenait le publiciste religieux lorsqu’il vint arborer chez nous le drapeau de la liberté absolue en matière de culte. Ces principes si hardis étaient le fruit du christianisme spontané dans l’âme la plus modeste et la plus humble ; cette prédication adressée à la France, et par elle à l’humanité tout entière, était née des luttes obscures d’un petit canton de la Suisse.


II

Pendant que les idées religieuses de Vinet s’affermissaient ainsi par la méditation et la lutte, son enseignement littéraire prenait le même essor : l’écrivain et le chrétien, chez un tel homme, étaient faits pour se compléter l’un l’autre. La critique des lettres françaises était pour lui un sacerdoce, tant il sentait bien le caractère militant de notre littérature, tant il y voyait sous mille formes la substance même de l’humanité. On raconte que, durant les premières années de son professorat à Bâle, Vinet eut à subir en plus d’une rencontre le mauvais vouloir de ses collègues ; la rivalité des deux langues était déjà très vive dans le canton, et tout ce qui venait de la France était suspect au germanisme. Enseigner les lettres françaises, les idées françaises en pleine Suisse allemande ! Pour vaincre les difficultés d’une pareille tâche, il fallait le tact exquis de Vinet et son évangélique douceur. Je suis persuadé que cette opposition ne lui fut pas inutile, car le vrai sage et l’artiste scrupuleux savent profiter de toute chose. Si amoureux qu’il fût de nos grands maîtres, confidens et consolateurs de sa jeunesse, il s’accoutuma dès lors à les juger avec indépendance. Initié autant que personne à la tradition de la critique française, il aimait à la contrôler par les jugemens de l’Allemagne et par ses sentimens chrétiens : de là une saveur singulière dans son enseignement, saveur qui charme le goût et pénètre jusqu’à l’âme. À ne juger que l’art et le talent, l’histoire littéraire de notre patrie a inspiré des leçons plus brillantes, des tableaux plus dramatiques et plus larges ; la supériorité de Vinet, c’est qu’en faisant naître l’enthousiasme du beau il tient toujours la conscience en éveil. Poésie, éloquence, chefs-d’œuvre du bien dire, vous revivez d’une vie nouvelle entre ses mains, quelquefois même d’une vie plus haute, car le maître vous associe à son apostolat, et, soit qu’il loue, soit qu’il blâme, il enseigne toujours la liberté morale. Sur ce terrain de la grande culture, Alexandre Vinet, bien qu’il n’ait laissé que des fragmens, n’a aucune comparaison à redouter.

Tous les biographes de Vinet ont exprimé le regret que les vingt