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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/379

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années de son séjour à Bâle (1817-1837) nous soient si peu connues. Ses lettres, si on nous les donne un jour, combleront sans doute une grande lacune et permettront de suivre pas à pas le développement de cette vie toute consacrée aux choses de l’âme. En attendant, nous qui parlons de Vinet seize années après sa mort, nous sommes plus heureux que nos devanciers ; aux indices éclatans, mais trop rares, de son activité littéraire à l’université de Bâle sont venus se joindre des témoignages nouveaux. Ses amis ont publié un de ses cours les plus importans. Si la Chrestomathie, que nous possédions déjà, révèle chez Vinet un critique ingénieux, un maître même dans l’histoire de notre idiome, le cours sur les moralistes français des XVIe et XVIIe siècles résume toute la philosophie de son enseignement.

L’auteur de la Chrestomathie, on le voit sans peine, aimait la langue française avec passion ; il l’aimait comme un instrument admirable, bien qu’il en connût les défauts, et, chargé de l’enseigner aux étudians de Bâle, il voulait leur en faire pénétrer l’esprit, un esprit de vie et de liberté. Étudier cette langue dans la grammaire, dans les vocabulaires, en vue de la seule utilité pratique, est-ce assez ? Se contenter de la correction extérieure, quand il s’agit d’un idiome qui a touché à tous les grands problèmes du monde, est-ce possible ? Non, dit-il ; « les grammaires et les dictionnaires… sont à la langue vivante ce qu’un herbier est à la nature… La langue française est répandue dans les classiques, comme les plantes sont dispersées dans les vallées, au bord des lacs et sur les montagnes. C’est dans les classiques qu’il faut aller la cueillir, la respirer… » Il faut la respirer, cette fleur, mais sans se livrer au charme, sans céder à l’ivresse. Il y a des plantes exquises qui distillent du poison ; il y a des parfums qui troublent, même parmi les plus purs. Vinet, avec sa vive sensibilité littéraire, était constamment sur ses gardes. Plus il savourait le miel des ruches, plus il redoutait l’aiguillon des abeilles. Il parlait d’ailleurs, nous l’avons dit, à un public prévenu, un peu hostile, à côté d’orateurs sévères qui tenaient en suspicion la pensée de la France. Le moyen de déconcerter l’ennemi, c’était de prendre soi-même l’offensive et de juger librement nos maîtres en admirant leur génie. Cette tactique,… mais un tel mot peut-il convenir au plus sincère des hommes ? ces précautions du moins étaient trop conformes à la foi évangélique de Vinet pour qu’il n’y demeurât point fidèle. Déjà, dans l’un des trois discours de la Chrestomathie, dans le vigoureux tableau des lettres françaises depuis les origines jusqu’à la révolution, Vinet s’était montré critique pénétrant et moraliste supérieur. Aucune beauté littéraire ne le laisse insensible, aucune erreur morale n’échappe à sa