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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/449

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fonds de garantie déposé à la forteresse montait à 159,918,000 roubles-argent ; il était encore au mois de septembre de la même année de 146,563,000 roubles, représentant plus de 42 pour 100 de la masse totale des billets, qui montait alors à 345,927,000 roubles. Ce chiffre ne tarda point à s’enfler pendant que la réserve métallique baissait. Il s’éleva, vers la fin de 1854, à 356 millions de roubles, en 1855 à 509 millions, en 1856 à 689 millions, en 1857 au total prodigieux de 735 millions de roubles, près de 3 milliards de francs, et l’échange contre espèces fut suspendu. Les causes qui avaient précipité la baisse des assignats commencèrent à se manifester, et l’on est menacé aujourd’hui de voir des désastres analogues se produire à la suite des mêmes erreurs.

Une masse de papier plus que doublée dans l’espace de quatre ans est un phénomène des plus inquiétans. On a beau recourir à des interprétations plus ou moins ingénieuses et nous présenter la Russie comme un monde à part, où rien ne se passe comme ailleurs : un pays qui a 3 milliards de papier-monnaie non remboursable alors que les billets réunis de toutes les banques d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande ne dépassent pas 1 milliard et sont échangeables contre espèces, alors que la circulation fiduciaire de la Banque de France, couverte de la même garantie, est toujours restée au-dessous de 900 millions de francs, un tel pays est exposé à un grave danger. Quiconque ne se laisse point éblouir par des sophismes sait à quoi s’en tenir sur une situation aussi anormale. Avec une richesse qui n’équivaut pas au tiers de celle de la France et de l’Angleterre, avec un mouvement d’échanges singulièrement restreint, comment concevoir cette masse d’environ 3 milliards de billets, couverte à peine par une réserve métallique qui n’équivaut pas au dixième de la circulation fiduciaire ? Nous savons que le défaut de confiance interdit en Russie des opérations faites à crédit sur une large échelle : il suffit de connaître la triste condition du portefeuille de la Banque de l’État pour ne pas en douter ; mais les opérations au comptant ont elles-mêmes besoin d’une autre sécurité que celle que peut offrir un papier mobile dans sa valeur, déjà déprécié et sans cesse menacé d’une dépréciation plus forte. Rien ne peut, en effet, empêcher la marche naturelle des choses ; à mesure qu’on multiplie les billets, le papier chasse le numéraire, l’exportation des métaux précieux s’accroît, et le change tombe, pendant que le prix nominal des marchandises s’élève. L’or et l’argent ne pouvaient tarder, en présence d’une émission exagérée, à gagner un agio de dix pour cent.

Il faut dire que, même avant la guerre de Crimée, l’échange des billets contre espèces n’était pas illimité. Le treizième chapitre de la décision du 1er juin 1853 portait : « Afin d’assurer l’échange de