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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/552

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LE
MATO VIRGEM
SCENES ET SOUVENIRS D'UN VOYAGE AU BRESIL

Une des parties les plus riches et les moins connues de l’Amérique du Sud est cet immense triangle dont la base, s’appuyant sur le revers oriental des Andes, descend d’étage en étage pour aller se perdre, au cap Saint-Roch, dans les eaux de l’Atlantique. Un seul empire, le Brésil, englobe presque tout cet espace, tandis que les deux plus grands fleuves du monde, l’Amazone et le Parana, lui servent à la fois d’entrée et de barrière, et le fertilisent de leurs innombrables affluens. Comme ce pays n’est, à vrai dire, qu’une suite de bois impénétrables ou de vastes prairies à peine interrompus par quelques cours d’eau, on peut encore l’appeler du nom de forêt vierge, mato virgem, que lui donnèrent, il y a trois siècles, les compagnons de Cabrai. Depuis cette époque, maints explorateurs l’ont parcouru ; mais leurs appréciations, loin de coïncider, ne peuvent que jeter dans le plus inextricable embarras celui qui voudrait se faire une idée exacte de ces contrées. Quelques voyageurs, qu’ont fascinés au passage l’or, les fleurs et les diamans, dont les tropiques sont si prodigues, n’hésitent point à voir dans la péninsule australe du Nouveau-Monde un paradis terrestre. Certains colons au contraire, à qui un long séjour dans ce pays n’a point ménagé les déceptions, ne parlent que de serpens, de lèpre, de moustiques, et rien n’est redoutable, à les entendre, comme l’arsenal de fièvres qui semble défendre l’entrée de ces côtes inhospitalières. Ces impressions contradictoires laissent en définitive les esprits sérieux aux prises avec un redoutable problème. La sauvage nature des forêts