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LA BAGUE D’ARGENT.

— Que dites-vous ? fit la baronne. Et que pourrait-il voir, puisqu’il est aveugle ?...

— Madame, s’écria Lucy, je crois que vous voulez me forcer de me mettre à vos pieds. Je vous assure qu’il ne m’en coûterait rien de vous prier, si je savais que vous eussiez jamais cédé à la prière. Je vous implorerais alors, non pour moi, car je sais bien que mon cœur brisé, ma vie de nouveau perdue, ne vous touchent guère ;... je vous implorerais pour ma fille, parce qu’elle est de votre sang. Je vous dirais que ces choses terribles dont on m’accuse retomberont sur elle quand elle sera grande, et qu’avant môme d’être entrée dans le monde. M"" d’Espérilles sera compromise... Mais encore une fois je perds l’esprit : vous n’aimez pas les enfans. Aussi je ne vous prie ni ne vous implore pas plus pour moi que pour elle. Je ne m’oublierai plus, je vous le jure. Donc je ne suis venue ici que pour vous proposer un contrat. Peu importe que ce mariage soit l’intérêt le plus cher de mon cœur ; ce qu’il faut considérer, c’est qu’il est surtout l’intérêt de votre nom. Tenez-vous à ce que je continue de le porter, madame, ou voulez-vous que je le quitte ?

— A la bonne heure, dit la baronne. Si vous ne me persuadez pas, vous me donnez au moins des raisons qui m’ébranlent. C’est môme une entreprise qui ne me paraît que juste de votre part que celle de quitter notre nom. Seulement ici je commence d’être inquiète. Rappelez-moi, je vous prie, ce nom par lequel vous comptez remplacer celui de d’Espérilles. Vous me l’avez dit : je ne m’en souviens pas.

— Ce nom est Dégligny.

— Oh ! fit la baronne, tout d’un mot ? Vous y mettrez bien une apostrophe,... par décence, et pour me complaire. Lucy, qui en tout autre moment n’eût pu s’empêcher de sourire, se contenta d’incliner la tête. La baronne d’Espérilles sembla de nouveau réfléchir un moment.

— Dites-moi, reprit-elle, M. Dégligny ne serait-il point ce meilleur ami que vous aviez autrefois au monde ? N’était-ce pas de lui que vous teniez cette vilaine bague d’argent ?

— C’était de lui, répondit Lucy en tressaillant ; puis elle se reprocha ce nouvel accès de faiblesse et de peur. Elle se guinda et se raidit, et se tint prête à un mensonge dont le succès allait décider de tout, car tout était perdu, si son austère cousine apprenait à quelle époque de sa vie Julien lui avait donné cette bague ; mais ce ne fut point cette question que lui fit la baronne.

— Je serais curieuse de vous voir dégantée, lui dit-elle, afin de m’ assurer si vous avez toujours ce bijou ridicule au doigt.

— Je ne l’ai plus, murmura Lucy ; je l’ai, je crois, égaré.