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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/818

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REVUE DES DEUX MONDES.

sèrent du coude et chuchotèrent ; ils n’épargnèrent point les quolibets lorsqu’il fut passé. Tout ce monde-là n’avait jamais remarqué que de la joie sur le visage des nouveaux mariés. Cette joie banale est une grâce d’état ; ils l’avaient aussi bien vue sur le visage de monsieur le baron, quand ils s’étaient élevés jusqu’à servir l’aristocratie, que sur celui du petit bourgeois, quand ils avaient eu le malheur de déroger jusqu’à servir la roture ; ils ne la voyaient point sur le visage de leur nouveau maître. C’est ce qui leur prêtait à rire. Julien erra longtemps dans la maison , il parcourut le jardin à grands pas pendant plus d’une heure, bien qu’il tombât une pluie glacée ; la valetaille le considérait à travers les vitres. Enfin il entra dans le petit salon. Lucette, à peine habillée, y était accourue ; elle déballait avec de maternelles précautions les poupées qui avaient dormi dans le grand coffre. Julien s’assit et la regarda. — Lucette ! s’écria- t-il tout à coup en se dressant devant l’enfant, qu’est-ce que je vois briller au doigt de cette poupée ? Et qui vous a donné cela ?

Le premier mouvement de Lucette épouvantée fut de gagner le bout du salon. Là, la poupée qu’elle emportait dans ses bras lui échappa et tomba par terre. Ce fut Julien qui la ramassa. — Qui vous a donné cela, Lucette ? reprit-il.

L’enfant, dont la terreur ne faisait que croître, répondit en balbutiant que c’était sa mère.

— Ne mentez point, lui dit-il.

— Je ne mens pas, fit Lucette.

— Ce n’est pas tout, s’écria-t-il, je veux savoir s’il y a longtemps.

— Oh ! oui ! dit-elle, il y a bien longtemps. Julien arracha du doigt de la poupée l’objet qui venait d’exciter en lui ce désordre insensé : c’était la bague d’argent !

— Allons ! dit -il avec un rire convulsif, je vois bien que ce n’est pas vous qui m’avez menti, Lucette. N’ayez donc pas peur. Ce n’est pas vous non plus que je vais punir.

Alors il courut chez lui, reprit au fond d’un meuble le journal qu’Horace Raison lui avait apporté la veille, et les deux mains armées de ces deux choses terribles , la gazette et la bague , il rentra dans la chambre de sa femme. Lucy dormait. Quelle tempête souleva dans l’âme de Julien la vue de ce tranquille sommeil ! Sans doute en ce moment elle rêvait du succès de ses mensonges, de la félicité volée et de la sécurité sans mélange qui allaient en être le prix ; mais non , elle semblait reposer sans rêves. De tout ce qu’elle avait osé jusqu’à cette heure, le plus hardi n’était-ce pas de dormir ? Que ce corps pourtant était beau, tandis