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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/118

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favorable. Peut-être étaient-ils satisfaits de voir partir ces étrangers qui jetaient le trouble dans leur existence monotone, mais dont le souvenir survivra sans doute longtemps parmi eux. Deux d’entre ces Esquimaux, Ebierbing et Tookoolito, qui s’étaient pris d’une affection particulière pour M. Hall, consentirent à l’accompagner aux États-Unis, sur la promesse qui leur fut faite qu’ils seraient ramenés plus tard dans leur terre natale lorsqu’une autre expédition serait dirigée dans les mers arctiques. Le bâtiment mit à la voile le 9 août ; le 21, il touchait à Terre-Neuve pour se ravitailler, et ces marins absens depuis plus de deux ans apprenaient avec douleur, en remettant le pied sur le territoire américain, que leur pays était en proie à la guerre civile.

Si quelque astronome venait raconter qu’il a découvert au bout de sa lunette un monde planétaire enfoui sous des neiges perpétuelles, où l’eau est à l’état de glace pendant neuf mois de l’année, où la vie végétale se réduit à de chétives graminées, où les animaux ne peuvent vivre que recouverts d’épaisses fourrures ou protégés par une cuirasse de graisse, et sont contraints de se réfugier sous le sol ou dans les profondeurs des eaux pendant la mauvaise saison, où, faute de combustible, il n’y a pas d’industrie possible, partant pas d’outils, pas de culture, pas de constructions, on se refuserait à croire que l’homme, tel que nous le connaissons, incapable de subsister, même dans les zones tempérées, sans les ressources que la nature et l’intelligence mettent à son service, puisse vivre et se multiplier dans un monde si désolé. Des quatre élémens dont l’action se fait sentir sur le climat d’un pays, il en est trois, — l’eau, la terre et le feu, — qui manquent ici, et le quatrième, l’air, y exerce sur le corps humain une influence nuisible. C’est cependant au sein de cette nature ingrate et stérile que les Esquimaux subsistent depuis des siècles.

Ces peuplades du Nord que nous appelons Esquimaux, — ce qui signifie, dit-on, mangeurs de chair crue, — se désignent elles-mêmes sous le nom de Innuits. Honnêtes dans leurs rapports entre eux et avec les étrangers, confians, généreux envers leurs amis dans la détresse, les Esquimaux mènent une vie patriarcale et ont l’organisation sociale la plus simple qu’on puisse imaginer ; ils ne connaissent aucune hiérarchie, aucune dépendance. Le chef de famille, responsable de la nourriture et de l’entretien de ses femmes et de ses enfans, se transporte où il lui plaît, au gré de ses caprices ou de ses goûts. Tout jeune homme qui a suffisamment d’adresse et de force pour subvenir à ses besoins se choisit une femme, l’épouse sans cérémonie et vit dès lors en une entière indépendance. La femme cependant n’est pas mise au rang d’esclave et de servante comme