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étroitement liées, l’inquisition, les édits, l’institution de nouveaux évêques, le refus obstiné de rassembler les états-généraux, la violation permanente et systématique de toutes les garanties légales. Il ne semblait hésiter ou s’arrêter par instans que pour reprendre son œuvre avec une opiniâtreté plus implacable, en dissimulant tout au plus la violence sous la ruse, et sans se laisser détourner de son but de domination absolue. Depuis dix ans aussi, le pays résistait, s’épuisait en remontrances inutiles, s’agitait dans les liens sanglans qui l’enlaçaient par degrés, et se défendait de son mieux dans la confusion. Les uns, comme Brederode, entraient dans la lutte gaîment, étourdiment, et ne voyaient guère qu’une excitante partie de plaisir dans cette entreprise de défense nationale. Les autres, comme le comte d’Egmont, Horn, Montigny, étaient pleins de trouble et d’anxiété, inclinant tantôt vers la cause populaire, tantôt vers le gouvernement, toujours mécontens et fidèles. Ils allaient à Madrid, se laissaient gagner un moment, puis retombaient sous l’impression poignante qui les attendait au retour, et ils ne voyaient pas qu’avec leurs tergiversations ils étaient aussi coupables aux yeux de Philippe que de vrais rebelles, qu’avec leur loyauté, avec leurs services, ils marchaient sans profit et sans gloire à une destinée tragique. Le premier de tous, Guillaume d’Orange, sans se livrer à des têtes légères comme Brederode, sans partager aussi les doutes du comte d’Egmont, suivait dans son âme sérieuse et prévoyante les progrès du mouvement, surveillait d’un regard pénétrant la marche de la politique royale, prêt à toutes les résolutions, mais ne voulant rien précipiter, préférant paraître se dérober à son rôle et méritant ainsi de personnifier une révolution qui déjà devinait en lui son chef. Au-dessous, les masses pressurées et exaspérées étaient tombées dans la situation la plus affreuse. Plus de cinquante mille victimes avaient péri par les bûchers ou par le gibet. Il n’y avait plus de sécurité pour les vivans. L’émigration commençait à dépeupler le pays, les industries s’arrêtaient, la famine envahissait les campagnes ; mais rien ne suspendait les progrès de la foi nouvelle, qui sous l’aiguillon de la souffrance devenait une vraie passion, élevant ainsi une barrière bien autrement redoutable que celle de la politique entre le roi étranger et ses sujets des provinces flamandes. Depuis dix ans enfin, ce drame se nouait dans la conscience graduellement révoltée d’un peuple et dans l’âme soupçonneuse de Philippe, où tout ce qui venait des Pays-Bas allumait la pensée d’une répression plus décisive, l’impatience d’en finir.

Jusque-là cependant les camps se formaient, l’antagonisme s’envenimait, le choc n’avait point éclaté, on n’en était pas venu à in-