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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/404

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voquer la force comme l’unique et suprême juge ; mais l’heure arrivait visiblement où il était impossible d’aller plus loin sans se heurter. Le gouvernement était dans l’alternative de retirer toutes les mesures par lesquelles il avait violenté les populations des Pays-Bas, c’est-à-dire d’abdiquer, ou de pousser jusqu’au bout son système, c’est-à-dire de marcher à la soumission des provinces par le fer et le feu, par une invasion de force soudaine et irrésistible. Le pays, à son tour, ne pouvait plus faire un pas sans toucher à l’une de ces extrémités : périr obscurément ou se sauver lui-même par une de ces témérités héroïques qui naissent du désespoir, se soumettre absolument, sans condition, au plus dur des jougs, ou arriver droit au dernier mot de cette agitation de dix ans, l’indépendance politique et religieuse, l’indépendance nationale. Chaque jour aussi se rétrécissait le mince terrain sur lequel se débattaient encore les âmes généreuses et vacillantes qui prétendaient obstinément concilier la loyauté envers le roi et la fidélité à leur nation. Le comte d’Egmont était de ces âmes. Il souffrait cruellement ; il ne voulait pas prendre les armes contre le roi ; il ne voulait pas les prendre non plus contre le pays, et il répétait qu’il irait « se cacher là où nul homme ne pourrait plus le voir. » C’est alors que la lutte se précipite et s’enflamme réellement. Elle éclata d’abord en emportemens populaires comme la guerre aux images dans les églises, en séditions multipliées où s’enhardissaient les réformés ; elle devint plus flagrante dans ces prises d’armes tentées pour délivrer Valenciennes, qui subissait un siège pour avoir refusé une garnison espagnole, ou pour insurger Anvers, que contenait encore de sa présence Guillaume d’Orange, moins en représentant du roi qu’en modérateur volontaire. De son côté, Philippe, confirmant tous ses édits, exigeant de ses sujets des provinces un nouveau serment d’obéissance absolue, écartant tous les vains palliatifs, — Marguerite de Parme après Granvelle, — laissait voir enfin sa vraie pensée dans ces deux faits, la préparation d’une armée d’invasion et la nomination du duc d’Albe comme gouverneur des Pays-Bas. À ce moment suprême où toutes les situations se tranchaient, Guillaume d’Orange, qui avait déjà donné sa démission de tous ses emplois, qui venait de refuser le nouveau serment qu’on lui demandait, voulut voir encore une fois le comte d’Egmont ; il le rencontra entre Anvers et Bruxelles, dans le petit village de Willebroek. L’amitié qu’il nourrissait pour lui avait « jeté des racines trop profondes dans son cœur, » selon sa parole touchante, pour qu’il n’essayât pas de le ramener. Il le pressa d’accepter pour le moment l’exil avec lui. Tout fut inutile. Ces deux hommes se quittèrent le cœur serré pour ne plus se revoir. Le comte d’Egmont partit pour aller au-devant